Propos recueillis par Pierre-Yves Ratti et Thibault Quartier
Vous êtes parvenu à réunir 5 millions d’euros avec un premier groupe de 40 investisseurs locaux sur votre nom et celui de Pierre Wantiez. Vous les réunissez ce vendredi pour la première fois. Qu’allez-vous leur dire ?
D’abord, nous allons les remercier. Sans eux, nous ne serions pas là. Nous avons beaucoup travaillé, mais nous avons eu la chance d’avoir Romain Peugeot qui avait un peu débroussaillé le terrain [à l’occasion d’un premier projet de reprise, en Ligue 2, au mois de juillet, NDLR]. Nous savions quelles entreprises pouvaient nous aider à démarrer l’opération. Nous avons, tous azimuts, en plein mois d’août, appelé tous les gens que nous pouvions connaître, les entreprises locales, car nous voulions surtout que cela reste local. Nous avons eu un investisseur parisien, qui nous a laissés tomber rapidement, mais tant mieux… Ce n’était pas un investisseur traditionnel, plutôt un gars qui jouait à la bourse. Nous, c’était plutôt à la pépère. Nous voulions revenir à l’ancienne. Elle était impossible notre histoire. Personne n’y croyait. Nous avons eu des moments de découragement. Nous avons fini par y arriver. Nous avions un dossier d’artisans à la DNCG (la direction nationale du contrôle de gestion, le gendarme financier du football professionnel, NDLR), précisant bien que c’était la survie d’un club historique.
Quand on discute avec des personnes qui vous ont suivis, elles disent ne pas avoir d’informations financières, ni d’informations sur le projet. Demain (ce vendredi 1er septembre, NDLR), vous allez leur présenter un budget ?
Ils sont très au courant, voyons ! Qui vous a dit ça ? Ils savent très bien qu’ils sont dans une fiducie. Demain, on va leur expliquer ce que… (il se reprend). Ils vont décider, en fin de compte. Moi, j’ai un investissement très modeste. Et c’est clair que je pensais m’arrêter. Les investisseurs nous ont demandé, à Pierre et à moi, de rester. Je n’avais pas prévu cela dans ma vie. Je continue de me battre pour trouver d’autres investisseurs. Les investisseurs sont réunis demain (ce vendredi, NDLR). Le type de société qui va être créée sera présenté par l’avocat ; ils choisiront.
On a beaucoup parlé du déficit de 12 millions d’euros. Qu’est-il devenu ?
Nous avons repris le club avec ses dettes. L’apport des associés a couvert le déficit. Il ne faut pas en créer de nouveau. Le but est de tout éponger. L’objectif, surtout, c’est de se maintenir. Si on ne se maintient pas, on ne discute même plus. Le centre de formation disparaitrait et on repartirait de zéro (en cas de relégation, le club perdrait son statut professionnel, donc son centre de formation, NDLR).
Six équipes sur dix-huit doivent descendre. C’est un sacré enjeux…
Je ne vous le fais pas dire.
Même pour les investisseurs…
Ils le savent. Et c’est pour ça que nous restons, avec Pierre. Ils nous ont dit : « Vous êtes bien gentils, vous nous avez emmenés dans le truc, mais maintenant, il faut venir avec nous. » Le capital est toujours ouvert. Les investisseurs nous font confiance. Nous ferons souvent des assemblées générales pour les tenir au courant. Nous avons déjà créé une équipe en quelques jours. Au Red Star, nous avons été battus, mais nous avons toujours été vivants.
La création d’une société coopérative d’intérêt collectif est-elle toujours d’actualité ?
C’est toujours d’actualité.
Elle apparait comme un contre-modèle dans le milieu du foot, très marqué cet été par les millions dépensés par les clubs saoudiens pour recruter des joueurs de premier plan. Comment regardez-vous cela ?
C’est le football que moi je défends. Il va bien falloir qu’un jour on revienne sur Terre. Ce sera peut-être difficile. Je continue de penser qu’il y a de la place pour un football comme nous. On vend notre âme, on vend nos industries, on vend tout. Que nos joueurs aillent gagner des millions en Arabie saoudite, c’est choquant… Moi, je suis un vieux mec qui aime le football. Nous, c’est clair, il faut que le centre de formation nous sorte des jeunes joueurs. Mais il est certain, que si nous voulons nous en sortir, il faut que le centre de formation fonctionne, que nous ne nous débarrassions pas de petits poulets, mais que nous vendions des coqs de combat.
Justement. Ibrahima Konaté (international français, joueur de Liverpool, NDLR) a joué 13 matchs pour le FCSM, Marcus Thuram (international français, joueur de l’Inter Milan, NDLR), ce sont 43 matchs. Ce sont des joueurs de classe mondiale. Il y a quinze ans, Pierre-Alain Frau, ce sont 209 matchs avec le FCSM et Benoit Pedretti, 168. Comment peut-on réussir avec un modèle de centre de formation où les joueurs sont vendus après quelques matchs ?
C’est une erreur. Nous avons laissé partir un jeune à Nice, parce qu’il y avait eu des promesses. Nous ne pouvions pas revenir dessus. Le système des agents a été bien modifié. Je voudrais qu’on revienne à cette époque des Frau, des Pedretti, des Monsoreau. Et d’aller chercher de temps en temps des joueurs comme Santos, un Ziani… C’est notre ADN. C’est notre survie.
Pour un club comme le FC Sochaux, que représente la masse salariale ?
Cher ! Je n’ai pas le chiffre en tête. La moyenne des salaires des joueurs, c’est environ 8 000 euros (par mois, NDLR). Mais nous avons quand même quelques joueurs, de la saison dernière, à 40 000 euros. Nous avons une masse salariale globale énorme. Nous avons 180 personnes ici. Un plan social est prévu, mais nous ne l’avons pas encore entamé. C’est triste. Nous avons présenté à la DNCG un plan général ; il faut le tenir. Si on ne le fait pas, à la fin de saison, il n’y aura plus d’argent. Nous avons évité le dépôt de bilan, mais nous savions qu’il y aurait des dégâts derrière. Ce qui nous coûte cher aussi, ce sont les engagements qui ont été pris pour des joueurs (par les précédents propriétaires, NDLR) qu’on a fait partir, avec des échéanciers. On a des joueurs à qui on doit 500 000 euros parce qu’on ne leur a pas donné tout quand on a fait la rupture de contrat. C’est budgété, mais c’est dur à avaler.
L’encadrement de la DNCG n’est-il pas trop contraignant pour avoir les joueurs qui puissent assurer le maintien ?
Pour les joueurs, on a ce qu’il faut. Avec ce qu’on a récupéré avec les joueurs qui partaient, on a de quoi faire une bonne équipe. Nous pouvons encore recruter deux joueurs. Nous ne sommes pas limités à la fin du mois pour le recrutement, ce qui nous laisse une petite porte si nous avons besoin de prendre un joueur. Nous avons eu des propositions de joueurs que nous n’avons pas pris, parce qu’il n’était pas question de dépasser la somme de 10 000 euros de salaire. Et nous sommes très respectueux, car nous allons repasser devant la DNCG dans quelques temps et nous voulons absolument être dans les clous.
Le projet « Sochaux 2028 » est symboliquement fort car il marque le centenaire. En quoi consiste-t-il. Quel est le calendrier sportif ? Le calendrier économique ?
Écoute, dans la vie, il faut des objectifs. Nous ne sommes pas sûrs de réussir. L’objectif, c’est d’être en L1 en 2028, pour le centenaire. Il faut que nous soyons tous imprégnés de ça : les joueurs, le personnel…
Économiquement, c’est toujours avec l’appui d’investisseurs locaux ?
Oui. Il nous en faut d’autres. Je rappelle que nous avons fait cet appel de fonds au mois d’août. On a appelé un gars qui était au Danemark, un autre qui était sur son bateau en Corse. Un autre était à Naples. Il faut [aussi] une discipline. Tout le monde veut être au conseil d’administration (ils sont six aujourd’hui, NDLR). Mais tout le monde ne peut pas y être. La partie qui a répondu présente et ceux qui ont versé un million d’euros chacun, on peut leur donner une petite priorité par rapport à moi qui n’ait mis que 10 000 euros. Vous comprenez ?
Vous avez intégré au conseil d’administration le président de Sociochaux. C’est un message fort.
Bien sûr. Je suis assez pour. Le club appartient toujours à un propriétaire, quel qu’il soit. Mais l’histoire, ce sont les socios qui l’ont. Ils sont propriétaires de l’histoire. Ils sont propriétaires de la morale… Quand un gars te dit : « J’allais [au stade] avec mon grand-père, avec mon arrière-grand-père, avec mon père et j’emmène mon fils aujourd’hui. » C’est l’histoire. Ils ont une propriété sentimentale du club. Il faut en tenir compte. Ce ne sont pas des abrutis les gars ! Même s’ils t’engueulent dans les tribunes, il faut les respecter. C’est leur club aussi. Sur Internet, on voyait des gars aux quatre coins du monde avec « Sochaux Vivra ! ». C’est fantastique. Ça mérite quelque chose. Il ne faut pas non plus que ce soit la cours de récréation. Mais qu’ils aient un représentant qui assiste aux débats du conseil d’administration, je suis tout à fait pour*.
Dans vos différentes prises de parole, ces dernières semaines, vous avez beaucoup insisté sur le rôle du FCSM dans l’économie locale. Avez-vous une idée des retombées ?
Je n’ai pas l’estimation. Déjà, le club, par son activité [génère des retombées] (fournisseurs, salariés, NDLR). La petite paie du stadier permet à certains de boucler des fins de mois. Les bistrots, les hôtels… Le jardinier qui a acheté du matériel, s’il y a un dépôt de bilan, qu’est-ce qu’il fait ? Cela va plus loin que ça… Quand il y a 15 000 spectateurs, comme nous aurons demain (vendredi, NDLR), peut-être plus, vous pensez bien que les bistrots marchent à côté, les restaurants. Ce serait toute une activité qui disparaîtrait complètement. Et ça, les collectivités en sont bien conscientes.
Vous évoquez 15 000 spectateurs. Malgré la descente, on sent le retour d’un souffle derrière le FCSM.
Quand je suis arrivé ici, au train, des gars m’attendaient alors que je ne l’avais dit à personne. Ce qui était le plus dur pour moi, c’était que je n’étais pas sûr d’y arriver. C’est une belle histoire. J’allais repartir, heureux d’avoir fait mon boulot, mais je ne pensais pas rester aujourd’hui, franchement. Demandez à ma femme d’ailleurs (rires) ! J’ai un club, moi, à Brest (l’AS brestoise, NDLR). J’ai des joueurs. J’ai 500 licenciés dans mon petit club. C’est un club que je redirige quarante ans après (il est le président depuis septembre 2021, après avoir été dirigeant dans les années 1980, NDLR). Je suis vraiment le mec des retours (rires).
Fait-on une croix sur le projet de centre de performances dans le Territoire de Belfort ?
(Silence) Centre de performances… (rires). C’est ridicule de dire qu’on va dépenser 20 millions d’euros et de ne pas pouvoir boucher le trou de fin de saison.
Le centre de formation va donc rester à Seloncourt ?
Évidemment ! D’abord, c’était une vacherie faite aux collectivités. C’est moi, en tant que président, qui ai inauguré Seloncourt avec Jean-François Humbert (alors président du conseil régional de Franche-Comté, NDLR) et monsieur Souvet (alors président de la communauté d’agglomération du pays de Montbéliard, NDLR). Il a porté ses fruits.
Reste-t-il calibré pour vos objectifs ?
Oui. Il a besoin d’un petit coup de [rafraîchissement]. Mais ça, les collectivités vont le faire. Il y a de très bons éducateurs. On a fait 100 % au bac. Frau, Monsoreau et Isabey sont des joueurs iconiques. Nous avons fait une belle histoire.
- Sociochaux a lancé, cet été, une levée de fonds auprès des particuliers pour sauver le FCSM. Le 31 août, 650 000 euros avaient été récoltés, représentant près de 9 000 contributeurs