Ils s’appellent Paul Grosjean, Antonio Cabete, Francis Voelin, François Debouchage, Georges Brand, Nelly Brand-Fourneret, Gilles Morel ou encore Jean-Claude Herzog. Ces noms résonnent comme autant de repères dans l’histoire de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) du Territoire de Belfort. Aujourd’hui, leurs souvenirs s’entrelacent dans un livre signé par Hélène Henry, Une histoire locale au service des artisans, qui retrace quarante ans de mobilisation. Un ouvrage de mémoire, mais aussi un miroir de l’évolution du syndicalisme artisanal.
« J’ai voulu écrire ce livre comme une histoire », confie l’autrice. Un livre avec de nombreuses anecdotes où se dessine un demi-siècle de changements, de l’époque des réunions dans des salles exigües aux stratégies de lobbying à l’ère d’internet. En voici quelques-unes.
La naissance mouvementée d’une Capeb locale
Dans les années 1980, Paul Grosjean, jeune entrepreneur du bâtiment, décide de créer une Capeb belfortaine. L’accueil est glacial : la chambre des métiers oppose un refus catégorique. Mais poussé par d’autres artisans, Paul Grosjean réunit une vingtaine de collègues dans la salle sombre du bistrot Le Clap, rue Jean-Moulin.
Convoqué par la chambre des métiers et de l’artisanat, il se fait accuser de « coup d’État ». « Vous vous croyez au Burkina Faso ! », lui lance-t-on. Malgré tout, il réussit à rallier menuisiers, métalliers et serruriers. Les premières réunions se tiennent dans une salle d’archives si petite qu’on ne pouvait y tenir debout. Rapidement, la dynamique est lancée : 376 adhérents sur 536 entreprises. « Nous étions en France les troisièmes en taux de syndiqués avec plus de 60 % », se félicite-t-il.
Le Lion de Belfort en deuil
Le 16 avril 1996, les artisans frappent un grand coup. À l’aube, armés de cordes et d’échelles, ils recouvrent le Lion de Bartholdi d’une immense bâche noire. « Pour nous, c’était une action éclair, avancée d’une heure quand on a su que la police viendrait à six heures », raconte Paul Grosjean. Le message, inscrit en lettres noires, est sans équivoque : « la mort de l’artisanat ».
La Ville porte plainte, mais Jean-Pierre Chevènement abandonne les poursuites pour apaiser les tensions. Le Lion restera bâché trois jours, avant que des membres du club alpin ne descendent en rappel pour le libérer. Les pompiers avaient refusé d’intervenir.

Les CRS face aux artisans
Dans les mêmes années, place des Abattoirs, les tensions montent d’un cran. Les CRS bloquent une manifestation d’artisans en colère. Georges Brand, premier vice-président de la Capeb ne l’a toujours pas digéré : « Ils ont débarqué avec les fusils ! »
Paul Grosjean se souvient d’un rapport de force déséquilibré : « Il y avait plus de CRS que d’artisans ! Le préfet m’avait prévenu qu’il ne tolérerait aucun débordement dans la ville du ministre de l’Intérieur. Nous l’avons fait quand même. Ce jour-là, ça a été une belle pagaille à Belfort. »
Le combat pour la TVA
Parmi les victoires syndicales, la bataille pour la TVA à taux réduit reste emblématique. Le fondateur de la Capeb raconte : « J’avais découvert qu’elle était à 5,5 % sur le foie gras et le caviar. Et nous, notre main-d’œuvre était taxée à 19,6 %. » L’argument, porté lors des congrès nationaux, finit par convaincre : le taux est abaissé à 5,5 % pour les artisans. « On a eu les belles années du syndicalisme », dit-il avec nostalgie.
Un syndicalisme en mutation
L’ouvrage ne s’arrête pas aux coups d’éclat passés. Il évoque aussi l’évolution des pratiques syndicales. « Le syndicat, c’était le creuset, là où on donnait les éléments et les informations », rappellent les artisans. Mais l’arrivée d’internet a bouleversé la donne. Aujourd’hui, Francis Voelin, président en exercice, insiste : « Il ne faut pas avoir peur de montrer qu’on est présents. Il faut faire du lobbying. On est la plus petite Capeb de France, mais toujours force de propositions. Nous sommes remarqués. »
Un livre-mémoire offert
Pour Gilles Morel, secrétaire général, ce livre illustre « un bel exemple de durabilité, grâce aux artisans et collaborateurs qui se sont succédé, avec toujours le même objectif : défendre la cause des artisans ».
Une histoire locale au service des artisans regroupe ainsi des décennies de récits, d’opérations et de combats. Il est offert à toute personne qui en fait la demande auprès de la Capeb. Une manière de transmettre une mémoire collective et de rappeler qu’ici, l’artisanat a mené des batailles pour exister.
Capeb, 6 rue du Rhône, 03 84 22 29 29.
