Sourire chaleureux, livre sous le bras, Nadia Hofnung est assise dans un coin feutré du Grain de café, à Belfort. Entre ses mains, un livre de près de 400 pages sur un sujet qui la passionne depuis de très nombreuses années : « De la République trahie aux rafles des Juifs en 1942 dans le Nord-Est de la Franche-Comté ».
Née au Maroc d’une famille juive d’Algérie, Nadia Hofnung s’est installée à Belfort dans les années 2000, avec son mari. Elle y a fondé l’association Judaïques Cultures. Et a eu une volonté : retracer l’Histoire. Les histoires. Celles des personnes juives, déportées durant la seconde Guerre mondiale dans le nord Franche-Comté. Un travail de fourmi qui a démarré en s’intéressant aux noms des personnes de confession juive sur les plaques commémoratives des monuments dédiés au déportés, à la synagogue et au cimetière israélite de Belfort.
Son but : documenter le parcours de chaque personne de confession juive dans le nord Franche-Comté durant l’année 1942, année où les premières rafles ont démarré, ainsi que les convois de déportation. « Car on ne sait finalement que peu de choses sur la présence juive dans le nord Franche-Comté, je ressentais le besoin de le documenter », raconte Nadia Hofnung.
Direction les archives. Celles de Belfort. De Besançon. De Vesoul. Mais aussi de Vincennes où se trouvent les dossiers nominatifs des Résistants et de Caen, où se trouve le Service historique de la défense. Elle y passe désormais des vacances deux fois par an, avec son mari. Des vacances studieuses… Le couple passe quatre jours aux archives à chaque venue.
Un support pour les historiens
Elle étudie des dizaines, des centaines de documents, par différents canaux au cours des dernières années. « Je voulais créer un support pour les enseignants, pour les chercheurs », narre-t-elle encore.
Ce livre, il ne s’agit ni d’un livre catalogue, ni d’un livre « morbide ». « Il s’agit de récits, de témoignages », détaille l’écrivaine. Avec des documents d’archives qui recoupent ses témoignages, dans un dialogue constant. Elle retrace des histoires qui se transmettent de bouche à oreille et qu’elle connaît déjà. Celle de Hella Eiss, par exemple. Elle en découvre d’autres.
Dans ce recueil, un fil rouge : une famille, que l’on suit au fur et à mesure. Quatre enfants, trois enfants de la famille Eiss et leur cousine, de nom de famille Hönig. On peut suivre Loti Margulies « très connue à Belfort » qui a raconté avoir suivi la trace de son frère déporté à travers la France pendant la guerre. Dans l’ouvrage, Nadia Hofnung réussit à documenter ce périple.
On découvre également l’histoire du rabbin Kapel, à Belfort en 1939, recruté comme aumônier des camps. Mais aussi plusieurs portraits de résistants, de Justes, de héros.
Elle lève plusieurs questionnements tout au long du livre : que sont devenus les enfants, qui eux, n’étaient pas déportés ? Ont-ils été aidés ? Que sont devenus les personnes qui ont survécu ? Celles qui ont fui ? Lors de sa présentation, Nadia Hofnung parle de tout cela avec passion. Connaît les histoires et les noms des personnes qui les composent par cœur.
Des histoires découvertes
Pour aboutir à cet ouvrage, il lui a fallu quatre années. Les découvertes ont été nombreuses. Elle a notamment retracé un fait qui n’était pas documenté : l’arrestation de 18 personnes en février 1942, ensuite déportées. « Une historienne m’avait fait état de cela, mais elle parlait de 11 personnes. » Pour y parvenir, elle a étudié les noms des personnes déportées dans le convoi n°1 ligne par ligne et les plaques commémoratives, ligne par ligne également, pour les comparer. « C’était une rafle de représailles due à des attentats contre les Allemands », explique-t-elle.
Elle réussit aussi à prouver que plusieurs hommes « qui n’étaient pas « éligibles » aux rafles » ont été tout de même déportés, notamment des lycéens. « Cela m’a permis de montrer qu’il n’y avait pas que des étrangers et des apatrides qui étaient déportés lors des premiers convois, mais aussi des Français. »
Elle découvre aussi que le chef de la gestapo, à Montbéliard, s’est déplacé lui-même pour arrêter les trois dernières femmes juives de Delle. « Dans un rapport, je lisais qu’elles avaient été arrêtées par le gros Carl et son chien. J’ai travaillé pour découvrir qu’en fait, les jeunes femmes faisaient passer du courrier aux prisonniers de guerre. C’est pour cela qu’il s’est déplacé en personne. »
Des découvertes historiques, elle n’a pas terminé d’en faire. « Mon but a été d’être la plus juste possible. Parfois, on peut avoir la facilité de romancer, d’aller trop vite dans les interprétations. Il faut s’imposer d’être dans une recherche de crédibilité », expose Nadia Hofnung. « Le but de tout ça reste de laisser un trace », souffle-t-elle.
Elle veut désormais axer son travail sur l’année 1943 et 1944, mais également sur un troisième destiné aux juifs belges et hollandais. Des communautés arrivées en Franche-Comté pour passer en Suisse, mais qui ont été arrêtées avant cela.
Le livre est préfacé par Marie-Antoinette Vacelet. Il est disponible à l’office du tourisme, à librairie du Chat Borgne, faubourg de Montbéliard à Belfort, et à la librairie Siloë, rue de la Porte-de-France, à Belfort également, au prix de 35 €.