Christophe Blind a été condamné, ce vendredi 18 janvier, à 20 ans de réclusion criminelle pour avoir assassiné, en juillet 1994, Stéphane Dieterich. L’épilogue d’une affaire criminelle longue de vingt-cinq ans. Récit d’une journée singulière, où l’on revient en arrière, où le présent se fige, et où l’on détermine l’avenir. C’est le temps d’un procès.
9 h. La tension est lourde dans la salle d’audience de la cour d’assises de Haute-Saône et du Territoire de Belfort. Un public nombreux prend place dans ce cadre bien particulier pour exprimer la puissance altière de la justice. Pas de colonnes grecques, ni de hauts plafonds. L’institution a élu domicile depuis plusieurs années au parc des expositions de Vesoul, en attendant la fin des travaux du palais de justice. Dans cette zone d’activité, c’est le cinquième et dernier jour du procès de Christophe Blind. L’épilogue d’une histoire qui puise ses origines dans une nuit de juillet 1994. Il y a vingt-cinq ans. Le temps d’une génération. Cette semaine, cette marche s’est modifiée. L’espace temporel s’est contracté. On s’est souvenu. On a jugé les actes d’un homme de 25 ans avec, dans le box, un quinquagénaire. Christophe Blind a reconnu avoir porté les coups de couteau contre Stéphane Dieterich. Un aveu formulé le 15 décembre 2015. Vingt-et-un ans après les faits.
« Pendant vingt-et-un ans, il a résisté à la pression »
Cette course du temps, maître Claire Doubliez, avocate de la partie civile, l’a faite sienne dès le début de sa plaidoirie. « Nous sommes en 1992. Stéphane, 1,70 mètre, une cinquantaine de kilos, n’a plus que deux ans à vivre. » Elle évoque un dossier d’inscription complété par la victime, dans lequel il a noté ses qualités et ses défauts. On traite de sa créativité d’esprit, de son enthousiasme, de sa vivacité. Le jeune étudiant, attendu au ministère de l’Économie et des Finances pour un stage, concède sa vision utopique de la vie. À côté de lui pour rédiger ce document, souffle-t-elle, son ami: Christophe Blind. L’accusé. Elle parle, inéluctablement, d’une vie fauchée. D’une famille brisée. Elle dénonce aussi les mensonges du prévenu dans sa défense. De son intelligence. De ses calculs. « Pendant 21 ans, il a résisté à la pression policière, judiciaire, sociale, affective et médiatique ! »

L’avocat de la défense reprend aussi cette dynamique temporelle. « Je ne demande pas de l’aimer, ni de l’excuser. Mais de comprendre. » Il revient en détails sur le mobile. Il évoque l’ascendance de Stéphane Dieterich sur Christophe Blind. Sur « les relations sexuelles non consenties » à partir de 1990. « L’un des proches de Stéphane Dieterich parle de relation complexe et de rapport de domination. Stéphane Dieterich décidait et Christophe Blind suivait, insiste maître Julien Dami Le Coz. Ce n’est pas pour l’ériger en victime. Mais pour comprendre. C’est lui qui est dans le box des accusés. » L’avocate de la partie civile et le ministère public ne rejettent pas les rapports sexués. Mais ils ne croient pas à la thèse du harcèlement. « Je m’élève avec force contre ce renversement des valeurs, tance l’avocat général, Frédéric Lutz, qui dénonce avec véhémence la victimisation. Ce n’est pas lui la victime. Pas lui qui est à plaindre. Il a nourri l’idée de tuer Stéphane Dieterich et l’a mise à exécution. »
On s’arrête ensuite sur le passage à l’acte. Au petit matin du 5 juillet, le corps de Stéphane Dieterich est retrouvé mort au Bois-Joli, à Essert. Lardé de onze coups de couteaux. L’une des plaies a même pénétré de seize centimètres. « La main n’est pas tremblante. Elle est l’œuvre d’une personne déterminée », insiste l’avocat général, qui requiert la préméditation. L’achat d’un couteau à Mulhouse confirme selon lui cette hypothèse et le fait d’avoir cherché à recruter des collégiens pour effectuer la besogne également. L’avocat de la défense tente de démontrer l’absence de préméditation, qui est « une volonté mûre et réfléchie. L’auteur agit calmement et de sang froid pour aboutir à un plan tracé à l’avance », relève-t-il. Il concentre sa plaidoirie sur le passage à l’acte. Il réduit le temps. « La préméditation s’oppose à l’impulsion, à la colère et à la rage. » Et de rappeler des éléments d’expertise : « C’est un crime brouillon. » Et se questionne : « Pourquoi attend-il cet ultime acte de masturbation pour porter les coups ? » Dans le box des accusés, Christophe Blind ne réagit pas. Le dos est voûté, les yeux dirigés vers le sol. « Tous les experts s’accommodent sur un point, remarque l’avocat de la défense : Le Christophe Blind qui a porté les coups était profondément immature. » Saisissante remarque lorsque l’on voit dans le box un homme aux cheveux grisonnants.
« En face, il n’y avait rien. Il y avait la mort. »
Pendant vingt-cinq ans, la famille Dieterich a fait vivre la mémoire de Stéphane. Et surtout milité pour que le dossier ne soit pas perdu. Le temps d’un combat qui se termine au procès. Ce laps de temps ne joue pas en faveur du prévenu. « Pendant vingt ans, Christophe Blind a vécu sa vie. Il a bénéficié d’une forme d’impunité totale, alors qu’il a assassiné un homme. C’est cette impunité que je vous demande de briser », lance Frédéric Lutz, l’avocat général, en conclusion de ses réquisitions. « Finalement, la pire journée pour la famille de Stéphane, c’était hier (jeudi, NDLR), avait constaté juste avant l’avocate de la partie civile. Parce qu’hier, elle a vu défiler la vie d’un homme pendant vingt-cinq ans. En face, il n’y avait rien. Il y avait la mort. »
Il est 12 h 40… Le président donne la parole à l’accusé. Il se lève. Ses premiers mots sont hésitants. Il explique son angoisse d’être confronté au temps du procès. Larmes aux yeux, sanglots dans la voix, il s’adresse à l’auditoire : « Je suis vraiment désolé de tout ce qui est arrivé. Je comprends leur peine. J’ai juste dit les choses comme elles se sont passées. » Cette intervention clôt trois heures de séance au cours desquelles chaque partie a abattu ses cartes. La cour se retire pour délibérer. Dorénavant, c’est le temps de l’attente.
Après quatre heures de délibération, Christophe Blind est reconnu coupable d’avoir assassiné Stéphane Dieterich. L’intime conviction des jurés retient la préméditation. Il a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle, conformément aux réquisitions de l’avocat général. Ce sera le temps de la peine.
À l’annonce, l’accusé est sonné. Sa famille est en larmes. De l’autre côté de la salle, les proches de Stéphane Dieterich ne montrent pas de réactions. Face aux caméras, Sylvain, son frère, déclarera simplement. « [Stéphane] peut reposer en paix. Enfin. »
