Les couleurs de la violence amoureuse, c'est quoi ?
Les « couloirs de la violence amoureuse » sont nés au Québec. Le dispositif vise à sensibiliser les jeunes aux dynamiques insidieuses de la violence dans les relations amoureuses. Les jeunes entrent dans une structure immersive composée de plusieurs salles. Chacune des salles illustrant une étape spécifique de l’évolution d’une relation amoureuse vers la violence, à travers des séquences vidéo. Ces étapes incluent les premiers émois, l’apparition de la jalousie, la peur, la première crise, les promesses de changement, l’agression, le harcèlement et finalement la plainte. Après chaque séquence, un animateur engage une discussion avec les participants pour analyser et réfléchir sur ce qui a été présenté.
En octobre 2023, le dispositif a voyagé en bateau. Pour la première fois en France, direction Belfort, grâce à l’initiative conjointe de l’association Solidarité Femmes 90 et du Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (CIDFF). Face à une augmentation des témoignages de jeunes femmes confrontées à des violences dans leurs relations, ces associations ont adapté le dispositif québécois pour le public français avec l’aide de l’Etat et du tribunal judiciaire de Belfort.
Ce mardi 28 janvier, le film a été dévoilé. Direction le lycée Courbet, où démarre cette histoire entre deux jeunes lycéens. Dès le mois prochain, tous les élèves de 3ᵉ de l’aire urbaine bénéficieront de cette sensibilisation, sans la structure, mais avec des vidéos adaptées au contexte juridique français et des animateurs formés pour encadrer les sessions.

Combien d’interventions allez-vous mener chaque année avec ce dispositif ?
La commande de base concerne toutes les classes de 3e du Territoire de Belfort, avec deux heures d’intervention par classe. Cela représente environ 150 heures. Mais ce n’est qu’un point de départ. Nous interviendrons aussi dans les lycées, notamment pour les élèves de 3ᵉ scolarisés dans ces établissements et qui n’ont pas bénéficié du dispositif. Nous allons également élargir notre champ d’action au Pays de Montbéliard, et nous avons été sollicités par la Haute-Saône ainsi que par l’association Unis-cité. Ce sont des demandes auxquelles nous devons répondre.

Comment ces séances sont-elles perçues par les élèves ?
Quand on fait de la prévention, on ne s’adresse pas uniquement à un public acquis à notre cause. On ne nous accueille pas forcément en nous disant : « Super, vous avez trop raison ! » Une grande partie de notre intervention, parfois plus d’une heure et demie, sert à détailler, expliquer et débattre. Beaucoup de jeunes ne sont pas immédiatement d’accord avec ce qu’ils voient dans la vidéo.
Un point intéressant, qui ne figure pourtant pas dans la vidéo, revient souvent : la question du téléphone. Est-ce qu’être en couple signifie que l’on peut fouiller dans le téléphone de l’autre ? Cela amène une réflexion sur la confiance. Certains jeunes nous disent que c’est normal, d’autres estiment que c’est acceptable si les deux partenaires le font. Nous travaillons alors sur cette notion en expliquant que la confiance, c’est accepter que l’autre puisse nous trahir, sans pour autant chercher à le vérifier en permanence. C’est une idée difficile à accepter, mais essentielle pour bâtir des relations saines, non toxiques.

La vidéo met en avant des violences psychologiques. Qu’en est-il des violences physiques chez les jeunes ?
Elles existent, mais il est difficile d’en donner une proportion précise. L’un des problèmes des études sur les violences dans les relations amoureuses chez les jeunes, c’est que peu d’entre eux se considèrent en couple. À partir de là, il devient compliqué d’avoir des chiffres précis.
En revanche, les violences psychologiques sont omniprésentes, notamment sous forme de chantage ou de culpabilisation, des comportements dont on ne prend pas toujours conscience. Dire à quelqu’un « Si tu m’aimais vraiment, tu devrais faire ça » ou « Tu ne devrais pas faire ça », alors que la personne n’est pas d’accord, c’est une violence psychologique. Que ce soit pour forcer une relation sexuelle, interdire de voir quelqu’un ou empêcher une sortie, cela reste une atteinte à l’autre.


La notion de consentement a-t-elle évolué ?
Oui, il y a une véritable libération de la parole. Quand on parle de consentement avec des élèves de 3ᵉ, presque tous peuvent en donner une définition correcte. C’est un concept mieux compris et mieux intégré qu’avant.
Cela dit, d’autres problématiques émergent. [Dans la vidéo, une jeune fille envoie une photo d’elle à son copain, qui menace ensuite de la divulguer parce qu’elle refuse un rapport sexuel. Dans les discussions qui suivent, une dame conclut qu’il vaut mieux ne pas envoyer de photos pour éviter de donner.] On l’a vu lors du débat à propos des photos. Mais là n’est pas la question. Si une photo est divulguée sans consentement, la faute revient à la personne qui la diffuse, pas à celle qui l’a envoyée. On rappelle la loi, c’est interdit. Et on insiste sur la nécessité du consentement. Un « oui » une fois ne signifie pas « oui » tout le temps, et être en couple ne rend pas le consentement automatique.
On nous dit souvent qu’ils sont trop jeunes pour parler de ça. Et que s’ils étaient mariés, ça ne se passerait pas comme ça. Le mariage ne protège absolument pas des violences conjugales. C’est même plutôt le contraire. Il faut savoir qu’au sein des couples adultes, 50 % des violences sexuelles sont commises par le conjoint ou l’ex-conjoint. Cela veut bien dire que sur la question du consentement, tout le monde n’est pas au clair. L’idée est de dire aux jeunes qu’ils sont capables de faire mieux et de leur dire qu’ils feront leur propre choix. Mais qu’ils ne doivent pas oublier que lorsqu’ils sont avec un autre être humain, il y a des règles.

Vous abordez aussi la question des émotions avec les jeunes. Pourquoi ?
C’est le cœur du dispositif. L’objectif des Couloirs de la violence amoureuse n’est pas de pointer du doigt les jeunes garçons en les présentant comme des psychopathes qui vont faire du mal à leurs copines. Dans la vidéo, le jeune homme qui devient violent est avant tout quelqu’un qui souffre, qui a eu plusieurs occasions de parler, mais qui ne l’a pas fait. Certains y verront une question de fierté masculine, nous préférons parler d’éducation.
Quand on interroge les jeunes sur leurs émotions, tout le monde est d’accord pour dire qu’on ressent toutes les émotions. Mais ensuite, on leur demande : « Quand vous étiez enfant, avez-vous entendu des phrases comme ‘Ne pleure pas, t’es pas une fille’ ? » Et là, beaucoup de garçons lèvent la main.
De l’autre côté, les filles nous disent souvent avoir entendu : « Ne te mets pas en colère, une fille en colère, ce n’est pas joli. » On réalise alors que dès le plus jeune âge, certaines émotions sont encouragées ou réprimées selon le genre. Un garçon qui n’a pas appris à exprimer sa tristesse, comment va-t-il faire pour la gérer ? S’il est triste mais qu’on ne lui a jamais dit qu’il avait le droit de pleurer, comment fait-il pour faire passer sa colère ?


Quelles sont les perspectives pour ce dispositif ?
Nous voulons d’abord pérenniser l’existant. Actuellement, le poste d’Anissa, qui anime les sessions, est financé par un fonds européen, mais seulement pour un an. Il faudra trouver un moyen de prolonger ce financement.
Nous souhaitons aussi essaimer ce dispositif dans d’autres départements. Anissa travaille sur une formation destinée aux associations qui voudraient utiliser Les couloirs de la violence amoureuse. Nous ne pourrons pas nous déplacer partout, donc l’idée est de former des intervenants qui pourront s’approprier l’outil et le diffuser à plus grande échelle. À terme, nous espérons que tous les élèves de 3ᵉ puissent en bénéficier, au niveau régional voire national.

Est-ce qu’il existe des dispositifs similaires en France, ou s’agit-il d’une première ?
On ne veut pas se vanter, mais je crois que c’est une première, oui. L’outil des couloirs de la violence amoureuse, développé au Québec, n’avait jamais été introduit en France avant son arrivée à Belfort il y a un an et demi. C’est une grande fierté pour nous. Bien sûr, il existe de nombreux outils de prévention, mais ceux-ci, tels que nous les avons présentés aujourd’hui, portent une touche qui nous est propre. Et puis, il faut aussi être un peu chauvin : les initiatives ne naissent pas uniquement dans les grandes villes. Même sur un petit territoire, on peut faire émerger des idées fortes.