Lycée Diderot Bavilliers, à 8 h, Follereau, à Belfort, à 9h, puis direction départementale de l’Éducation nationale à 10h : une dizaine d’enseignants des lycées professionnels des établissements Follereau (Belfort), Diderot (Bavilliers), Jules-Ferry (Delle) et Nelson-Mandela (Audincourt) ont formé ce jeudi matin un piquet de grève. Appuyés par les syndicats FSU, CGT, Sud, et Sgen CFDT. S’ils sont en grève aujourd’hui, c’est pour dénoncer la réforme des lycées professionnels, une réforme en cours de construction qui repose sur l’augmentation du nombre de semaines en milieu professionnel. Si la réforme des lycées professionnels est approuvée, un lycéen passera 33 semaines en entreprise contre 22 auparavant. Donc autant de temps en moins pour les enseignements classiques (français, anglais, histoire-géo, mathématiques) ou en ateliers, pour apprendre les gestes professionnels.
Reçus par le préfet le 18 octobre (lire notre article), ils se retrouvent une nouvelle fois contre cette réforme. Devant l’inspection académique, Ghani Niame, enseignant en mathématiques au lycée Diderot, grogne. « Je n’ai jamais vu ça. Tout est flou concernant cette réforme.» Il repense à ses premiers cours donnés. Il explique qu’au départ, six heures de mathématiques par semaine étaient dispensées. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’une heure et demie, avec un programme tout aussi lourd. Ses élèves, il les porte depuis trente ans. Comme la plupart des enseignants présents. « Parcours cabossés », « milieu populaire », les mots pour définir ces jeunes fusent.
On ressent tout l’attachement qu’ils ont envers leurs élèves. Et la fierté aussi. « Moi, un de mes anciens élèves est devenu cinéaste. Ses films ont eu des prix », relève Ghani Niame. Il croise quelques minutes plus tard un ancien élève qui se dirige vers l’hôtel du Département. Il s’adresse à lui comme à un vieil ami.
Si le professeur du lycée Diderot est en colère, comme tous ses collègues, c’est parce que la réforme va pousser les jeunes à passer beaucoup plus de temps en entreprises, sous l’autorité de patrons et de tuteurs « qui ne sont pas forcément formés à travailler avec des jeunes de 14, 15 ans ». Jeunes, qui ont encore besoin de cours théoriques et d’heures d’ateliers pour se former, pour « mûrir » relatent les enseignants qui chérissent le souvenir du bac professionnel en quatre ans.
Pas là pour former des bêtes de somme
Les enseignants regrettent que la réforme se fonde essentiellement sur des statistiques concernant l’échec scolaire en lycée professionnel. Et sur des statistiques concernant les bons résultats de l’apprentissage. Un professeur du lycée Nelson-Mandela, à Audincourt, explique : « Dans les chiffres sur les résultats de l’apprentissage, on retrouve les post-bacs. Alors que ça n’a rien à voir. Si les résultats sont positifs pour eux, les choses ne sont pas aussi simples pour les plus jeunes.» L’une des manifestantes met en perspective les chiffres : « Pour les CAP, il y a environ 40% de ruptures de contrat pour l’apprentissage. Alors qu’en lycée professionnel, on constate moins de 15% d’abandon.»
Ils se refusent, aussi, à envisager une éducation fondée sur la préparation « d’exécutants ». « Nous ne sommes pas là pour former des bêtes de somme ou de la chaire à patron », crie l’un des professeurs. Les élèves qu’ils forment ? Des futurs citoyens, avec un esprit critique.
Dans cette réforme, il est aussi envisagé de régionaliser l’offre de formation des lycées professionnels en fonction des besoins des entreprises implantées localement. À ce sujet, les professeurs s’alarment. Dénoncent une forme de déterminisme. « Nos élèves sont pris pour des bouche-trous. Si les métiers sont sous tension, il faut augmenter les salaires. Ce n’est pas du ressort des lycéens d’aller combler les trous.»
Des théories sur l’avenir des enseignants
Puisque la réforme entend augmenter les durées de stage et réduire le temps au lycée et en ateliers, les professeurs de lycées professionnels se questionnent. Que vont-ils devenir ? Dans l’assemblée, ce jeudi, les théories fusent. « Ils manquent des enseignants dans les collèges et lycées généraux », souffle l’un d’eux. Benoit Guyon, représentant syndical FSU complète : « Les professeurs de lycée pro risque d’être forcés à rebasculer vers les lycées et collèges.» Une théorie que Ghani Niame ne veut pas envisager. Pour lui, l’enseignement en lycée pro et en général, ce n’est pas le même métier. Les manifestants soufflent. Ils se sentent eux-aussi comme des « bouche-trous », avec un lycée pro devenu « parent pauvre de l’Etat. » Ils désespèrent quelque peu sur leur sort et celui du lycée professionnel.
Ils désespèrent d’autant plus qu’au niveau national, des concertations et des groupes de travaux ont été lancés par Carole Grandjean, ministre déléguée de l’enseignement et de la formation professionnelle, sur quatre points (lire ici). « Quatre points non négociables, menés par le rectorat… Tout ça, ce sont des écrans de fumée », fuse Ghani Niame. À côté, le professeur de l’établissement Nelson-Mandela rit jaune. « Finalement, on nous propose juste de choisir la couleur de la corde avec laquelle on va se pendre.»
Ce que les professeurs demandent, ce jeudi matin, c’est tout bonnement le retrait de cette réforme. De vraies négociations, des heures d’enseignement adaptées, et un arrêt du projet d’adéquation entre le manque d’emplois et la formation. Sollicité, le rectorat n’a pas souhaité faire de commentaires, mais précise toutefois que la réforme n’en est qu’à l’état de réflexion et que des discussions sont en cours à l’échelle nationale.