Olivia Frisetti et Eva Chibane
La chanson I will survive de Gloria Gaynor résonne devant la Maison du Peuple. En haut des escaliers, les syndicats attendent le départ. Drapeaux en main, il est 9h59. Les représentants de la CFDT, sur leur camion habituel, discutent en attendant les derniers arrivants. Les pancartes se lèvent, mais le rassemblement reste épars. Selon la police, le cortège ne dépasse pas les 1 700 manifestants (contre 2600 samedi 11 février) ; les syndicats, eux, n’ont pas donné d’estimation.
Le soleil est de la partie. Les jeunes aussi, même s’ils sont peu nombreux. Ils sont un petit groupe de 10. Âgés entre 15 et 18 ans, ils sont engagés pour certains depuis le début dans les manifestations contre la réforme des retraites. « Nous étions 3 au début. Alors 10, c’est déjà une petite victoire », explique Théodora, 16 ans. Avec Louis et Hippolyte, ils affirment en chœur : “On est moins que la dernière fois, mais la motivation ne faiblit pas. On a besoin de se faire entendre”.
Si les jeunes ne sont pas très nombreux à Belfort, c’est parce que la ville n’est pas très étudiante, selon Théodora. Pour autant, les lycéens veulent montrer qu’ils sont là et qu’ils soutiennent le mouvement. Ils ont d’ailleurs fondé un réseau d’une petite dizaine de lycéens et une page Instagram pour relayer leurs informations. « Si on ne fait rien maintenant, on ne pourra pas se plaindre de finir à 80 ans », témoigne Louis, 16 ans.
Mobiliser les jeunes des lycées professionnels
Juste à côté, Mike, 16 ans, accompagné de sa sœur, replace son bonnet sur le haut de son crâne. La retraite a changé sa conception du travail. « Avant, j’avais du mal à trouver ce que je voulais faire. Maintenant, c’est encore pire. La réforme ne me donne pas envie de faire un métier physique.» Sa grande sœur lui sourit. Marine, 18 ans, étudie à Londres.
De retour une petite semaine, elle a rejoint le mouvement pour apporter son soutien. « Je me fais surtout du souci pour mes aînés », explique-t-elle. « Nous, d’ici là, les choses auront peut-être déjà bien changé avec le climat.» Les piétons observent, les voitures s’arrêtent : le cortège va bientôt se mettre en mouvement. Les jeunes belfortains, qui attendent sur le côté, affirment avoir changé leur façon d’envisager l’avenir. Ils ont l’impression qu’ils n’en finiront pas de travailler.
“On finit par vivre pour travailler et ne pas travailler pour vivre”, déclame Elora, une jeune femme d’à peine 17 ans. La réforme fait peur. “Je dois trouver un travail que j’aime. Sinon je ne tiendrai jamais.” souffle Mike, 16 ans.
Elora remarque que cette semaine, moins de jeunes se sont mobilisés. Elle n’est pas inquiète pour autant, les vacances scolaires jouant pour beaucoup selon elle. Le groupe auquel elle appartient veut rencontrer les élèves de lycées professionnels pour les mobiliser. Car après la terminale, ils rentrent directement dans le monde du travail. Les sifflets et les klaxons retentissent en fond. Les manifestants s’élancent. “On est là pour montrer qu’il y a de la diversité.” enchaîne Theodora.
Travailler à l’étranger
La résignation n’est pas loin, à les entendre. “Si la réforme est adoptée, j’envisage de travailler à l’étranger”, rétorque Elora, 17 ans. D’autres ne veulent plus y laisser leur santé, comme cela a pu être le cas pour leurs parents ou leurs grands-parents, comme l’exprime le jeune Pao. “Je vais donner tout ce que je peux dans mon futur travail, mais je ne veux pas être au bout du rouleau. Sinon je ne tiendrai jamais”.
Jean-Antoine fredonne en manipulant son appareil photo. Ancien soudeur, il ne supporte plus le bruit. Le travail l’a harassé. Désormais à la retraite, il est à la quête du meilleur pour ses enfants et ses petits-enfants. “Il n’y a pas assez de jeunes, mais c’est compréhensible. La grève ne paye pas”. Avant d’ajouter : “Quand j’étais jeune, j’ai vu des anciens partir à la retraite et mourir la même année. Ce n’est pas ce que je souhaite pour nos jeunes, la nouvelle génération mérite du répit ”.
En plein mois de février, le soleil tape et accompagne le cortège jusqu’à la mairie de Belfort. C’est ici que la CGT annonce un plus gros rassemblement le 7 mars. La date était dans toutes les conversations lors de ce rassemblement. Les syndicats espèrent une très forte mobilisation, avec des grèves reconductibles et un arrêt total de l’activité.