Dans une petite salle d’audience bondée de soutiens notamment syndicaux (CGT), Mélanie Santi, ancienne salariée de chez Colruyt à Arcey, se triture les mains nerveusement. C’est la deuxième fois que l’ancienne salariée d’Arcey se rend au conseil des Prud’hommes à Belfort contre son ancien employeur. La première audience, en novembre dernier, avait été renvoyée en départage.
Pourquoi est-elle là, face à Colruyt ? L’avocat de la jeune femme, Me Jean-Charles Darey remonte l’historique. Celle qui a été embauchée en 2012 dans cette chaîne de supermarchés d’origine belge , obtient un CAP en boulangerie en 2016. Elle travaille alors à Mathay. « En 2019, tout bascule. Alors qu’elle se heurte à un harcèlement détestable », rapporte l’avocat. Un harcèlement, moral et sexuel, de la part de son supérieur hiérarchique qui vaudra à cet homme un rappel à la loi après une plainte venant du Parquet de Montbéliard. L’avocat énonce quelques-uns des faits et propos vécus par la victime ; vidéo pornographique mise sur une clef USB et remise en guise de blague, proposition de « dégivrer son pare-brise avec un bas usager ». « Et quant il ne parvenait pas à ses fins, il changeait ses horaires, la menaçait de régler cela sur le parking ou dans le four. » Elle alerte lors de plusieurs entretiens son employeur. Le responsable hiérarchique écope d’un avertissement.
« La médecine du travail constate le harcèlement moral et/ou sexuel le 28 mai 2020. Et en vient au fait qu’il faut les séparer. » Mélanie Santi reçoit deux propositions : « On lui propose de partir à Pontarlier, soit à 95 km de distance de son domicile ou à Bavans, où il n’y a pas de poste en boulangerie », détaille l’avocat. « Elle a dû choisir entre la peste et le choléra. » Elle choisira Bavans.
Prouver le lien
C’est seulement en juin 2021 qu’elle se verra proposer un poste à Arcey, pour récupérer un poste en tant que boulangère. Puis, en octobre, elle passera un entretien préalable au licenciement, soit quatre mois après. En décembre, son licenciement est acté.
Durant l’audience, l’avocat tente de prouver que le licenciement de Mélanie, est lié au fait qu’elle ait dénoncé le harcèlement à de multiples reprises. Pour lui, les motifs avancés par Colruyt sont « futiles ». Colruyt avance le fait que Mélanie Santi aurait perturbé ses collègues en leur demandant à de nombreuses reprises leurs emplois du temps, leurs jours de travail, détaille l’avocat. « Elle aurait perturbé ses collègues, les aurait usé et aurait oublié, un jour, de faire des viennoiseries », expose-t-il, peu convaincu. Il plaide la liberté d’expression de la salariée dans la mesure où « il n’y a pas d’invective ou de caractère diffamant ».
Finalement, ellle a été « licenciée par ce qu’elle discutait et parce qu’elle n’a pas mis les croissants dans le four », ironise Me Darey. Mais aussi, selon lui, à cause de son exercice syndical, car sa cliente projetait de se présenter aux élections professionnels de la CGT en 2022, ce qui n’aurait pas plu.
« C’est à l’employeur de montrer qu’il n’y a pas de lien entre le harcèlement et le licenciement », martèle-t-il. Il met dans la balance le licenciement, basé sur des ressentis de collègues. Et l’avertissement qu’a reçu le supérieur hiérarchique alors que d’autres jeunes femmes ont témoigné après Mélanie Santi. Dont trois jeunes intérimaires lors de l’année 2021, qui dénoncent des faits similaires de harcèlement. Au total, il va recevoir trois rappels à l’ordre au sujet de jeunes femmes différentes.
« Exagération, excès »
Me Vincent Braillard, avocat de Colruyt, a lui plaidé « l’exagération », « l’excès ». Pour lui, on se trompe de débat. « Oui, [le supérieur hiérarchique] est un cochon, une personnalité dérangée ». Mais il n’y a pas de lien entre le licenciement et le harcèlement dénoncé. « Colruyt a mis des mesures nécessaires et protectrices », expose-t-il pour clore cette partie. Il évoque une attitude « sournoise et destructrice » de la part de Mélanie Santi envers ses collègues. « On doit protéger les salariés », embraye-t-il encore pour justifier le licenciement de celle-ci. Reprochant à son confrère avocat un manque de clarté sur la chronologie et la réalité des événements. Mais aussi de mettre sur la table l’argument syndical alors que Mélanie Santi n’était pas élue.
Après quelques questions de clarification, les conseillers prud’homaux se sont retirés. Le délibéré est attendu le 8 mars 2024. L’ancienne salariée, représentée par Me Jean-Charles Darey, milite pour que son licenciement, en décembre 2021, soit annulé pour nullité et qu’elle puisse être réintégrée, pour le symbole. Elle souhaite aussi que son préjudice soit réparé financièrement en récupérant les salaires non perçus depuis son licenciement. Me Darey a aussi invoqué la somme de 100 000 euros de préjudice moral.