AFP par Damien Stroka
L’audience devant la cour d’assises de la Haute-Saône a été suspendue dans la matinée, le temps que les juges se retirent pour délibérer sur cette demande des avocats. Mes Sylvain Cormier et Renaud Portejoie ont pointé la déposition au début du procès d’un enquêteur, Christophe Touris, et se sont plaints d’avoir reçu la veille seulement « un document de 150 pages », une « réinterprétation de résultats de fadettes, de géolocalisations et d’adresses IP ». Des éléments importants puisque M. Zepeda est soupçonné d’avoir pris le contrôle des comptes numériques de Narumi pour envoyer des messages à sa place et retarder les recherches après sa disparition. Le parquet comme les parties civiles ont rejeté la demande de renvoi au début d’une journée qui s’annonçait décisive pour le Chilien : il doit en principe être longuement interrogé sur les faits qui lui sont reprochés.
Me Cormier a rappelé qu’en première instance, un autre enquêteur avait déjà apporté à l’audience une nouvelle pièce ne figurant pas dans le dossier, à savoir la vidéo d’un « rôdeur » devant la résidence universitaire de Narumi. « Les enquêteurs, fébriles, ont besoin à chaque audience de rajouter de nouveaux actes d’enquêtes, ce qu’ils n’ont pas le droit de faire, c’est illégal », avait précisé Me Cormier lors de la suspension. « Nous ne demandons que le respect du contradictoire et le parallélisme des formes », a ajouté Me Portejoie, sollicitant le renvoi du procès. « La défense est fébrile », a réagi l’avocat général, Etienne Manteaux, qui avait demandé le rejet de cette demande, à l’image des avocats des parties civiles. La demande a finalement été rejetée.
Depuis le début du procès le 4 décembre, Nicolas Zepeda a bougé dans sa version, concédant « quelques mensonges » : il a ainsi reconnu s’être volontairement rendu à la résidence universitaire où logeait Narumi à Besançon pour la rencontrer, alors qu’il plaidait jusqu’alors la rencontre fortuite. Mais sur l’essentiel, c’est-à-dire sa culpabilité dans ce féminicide présumé, il n’a pas bougé d’un iota : il n’a pas assassiné Narumi, en dépit du faisceau d’indices qui lui a valu une condamnation en première instance à 28 ans de réclusion pour l’assassinat de la jeune femme.
"Eprouvant"
Cette brillante étudiante japonaise de 21 ans a disparu le 5 décembre 2016. Son corps n’a jamais été retrouvé. Nicolas Zepeda, qui l’avait rencontrée en 2014 lorsqu’il étudiait au Japon, a rapidement été suspecté. Pour l’accusation, ce Chilien décrit comme possessif, jaloux et soucieux de contrôler la jeune femme, n’a pas supporté qu’elle mette fin à leur relation quelques semaines auparavant et l’a tuée en préméditant son acte : venu du Chili jusqu’en France, il a étouffé ou étranglé Narumi dans sa chambre universitaire avant de se débarrasser du corps. En fin de première semaine, le policier responsable de l’enquête est venu livrer un récit des investigations accablant pour l’accusé.
« On a mis à plat » pendant deux semaines « les éléments de la procédure » qu’il faut désormais « soumettre à Nicolas Zepeda » pour qu’il s’explique dessus, a expliqué à l’AFP Renaud Portejoie, avant sa demande de renvoi. « On attend tous avec impatience de savoir ce qu’il va dire (…) Ca va être long, dense, éprouvant mais c’est indispensable », a ajouté l’avocat qui a déclaré lors des débats que son rôle n’était pas forcément de « ménager » son client, quitte à lui poser les questions « qui fâchent ». On ne peut pas « faire comme si les éléments à charge n’existaient pas, je préfère qu’on s’y confronte » afin que M. Zepeda « puisse apporter des éléments de réponse, satisfaisants ou non », a-t-il estimé.
La séquence promet d’être tendue, surtout après l’audience qui a clos jeudi la deuxième semaine de ce procès : les débats se sont achevés dans le chaos, après une crise de larmes de l’accusé qui venait d’affirmer avoir été agressé par un surveillant à la prison de Besançon. Sa plainte avait été classée début 2022.
Médusée
S’en est suivi un moment de grande confusion, dans une salle des assises médusée, avec une passe d’armes entre l’avocat général et les parents de Nicolas Zepeda. L’incident s’est produit alors que ce dernier était interrogé sur sa personnalité : très prolixe sur son enfance, sa famille et ses études, sa parole s’est grippée au moment d’évoquer Narumi, avec laquelle il avait entamé une relation amoureuse début 2015. Auparavant, la semaine avait connu des sommets d’émotion avec les témoignages déchirants de la mère et des soeurs de Narumi. « Je ne te pardonnerai jamais Zepeda! », lui avait asséné sa mère, Taeko Kurosaki. « Ce grand menteur ne changera jamais! » En défense, Mes Portejoie et Cormier tentent de faire face, pointant notamment les « limites du dossier ». Mardi, ils ont cherché à instiller le doute et à faire du dernier petit ami de l’étudiante, Arthur Del Picollo, un coupable bis. Mais le jeune homme de 28 ans, premier suspect mais vite mis hors de cause, leur a tenu tête. Le verdict devrait intervenir jeudi.