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À Belfort, une autre approche des condamnations par le tribunal

Jessica Vonderscher, procureure de la République du Territoire de Belfort. | ©Le Trois - EC ​

30 % de peines de travaux d’intérêt général en plus en un an au tribunal judiciaire de Belfort. C’est le bilan 2022 dressé par la procureure de la République, Jessica Vonderscher, ancienne cheffe de service de l’agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle. Entretien.

Cela fait plus de neuf mois que Jessica Vonderscher est procureure de la République auprès du tribunal judiciaire de Belfort. Elle a amené avec elle une politique pénale différente et une autre approche des condamnations qui a engendré une augmentation de 30% des peines de travaux d’intérêt général (TIG). Un chiffre qui n’est pas là par hasard. La procureure, ancienne cheffe de service de l’agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle, fait de ce point l’un de ses axes moteurs. Dans un bilan de l’année 2022, elle annonce que de nombreux défis sont encore à relever ; pour permettre de désengorger les prisons ; pour trouver quelles poursuites pénales sont les plus adaptées ; et pour éviter les récidives. 

Cela nécessite de tisser du lien avec les acteurs, d’envisager des formations, de s’accorder pour « parler tous le même langage », explique-t-elle. Un travail qu’elle a engendré dès son arrivée, et qui devrait se poursuivre sur le temps long car elle souhaite « s’installer durablement dans le Territoire de Belfort. » La richesse du territoire ? Sa petitesse. « Le Territoire de Belfort est un département à taille humaine. Sur les deux places du village, nous rassemblons déjà presque l’ensemble des acteurs », plaisante-t-elle. Sa force : tous les acteurs qui gravitent autour de la justice sont motivés pour faire baisser la délinquance.

Elle travaille au quotidien avec une quinzaine d’acteurs « qui ont une volonté immense d’aller de l’avant et d’innover. » Que ce soient les partenaires institutionnels, les services de l’État, les collectivités territoriales, les acteurs du monde économique et les associations. Cela facilite la mise en place de sa politique pénale. 

Une seconde force, aussi, est que le territoire est « pro-TIG ». La mobilisation est forte pour créer des postes de travaux d’intérêt général. Peuvent devenir employeur pour les TIG les collectivités et établissements publics, tout d’abord. Les associations, ensuite. Mais aussi les personnes morales de droit privé et entreprises ayant une mission de service public. Même s’il reste encore des postes à créer pour que cela soit parfait,  il y a aujourd’hui plus d’une centaine de postes dans le Territoire de Belfort, ce qui en fait un territoire « très bien doté en termes de postes. » À la tête du dispositif et de la mise en place, une référente territoriale des TIG, qui doit être recrutée bientôt. « Il y en a une par département, c’est un poste indispensable car cette personne fait le lien entre tous les acteurs pour la création de postes et le suivi », explique la procureure.

Convaincre les juges

Pour des créations de poste, Jessica Vonderscher n’a pas senti de méfiance de la part des structures d’accueil. Cela nécessite une certaine organisation de leur part, car une personne doit se charger du tutorat. Mais cela pose rarement problème. L’accueil se fait en moyenne durant 105 h, soit trois semaines, réparties comme l’entend l’employeur. L’idée reste de simplifier au maximum les démarches pour mobiliser et donner envie de recruter des personnes. « Tout est fait pour leur faciliter la tâche. Nous avons déjà vu de belles histoires se créer. Avec des personnes embauchées au bout, ou qui s’engagent dans le bénévolat dans l’association où elles ont effectué leurs TIG .» 

Le plus difficile, pour la mise en place des TIG, reste de « convaincre les juges » d’adopter cette réponse pénale. Mais « plusieurs études prouvent l’intérêt de ce type de peine, dans les cas de délits ou de contraventions », justifie la magistrate. Il existe évidemment d’autres réponses pénales, comme l’amende, par exemple. Mais dans 60% des cas, les amendes délictuelles ne sont pas recouvrées, car « les personnes qui passent par le tribunal n’ont souvent pas les moyens de les payer.»

« Tout est fait pour leur faciliter la tâche. Nous avons déjà vu de belles histoires se créer. Avec des personnes embauchées au bout, ou qui s'engagent dans le bénévolat dans l’association où elles ont effectué leurs TIG. » 
Jessica Vonderscher
Procureure de la République de Belfort

Il y a aussi la possibilité de mettre en place un bracelet électronique à résidence. Mais ce qui pose problème, selon la procureure, c’est que l’on ne sait rien sur ce que fait la personne durant la période. « Nous savons qu’elle reste chez elle. Mais nous ne savons pas avec qui elle est, ni ce qu’elle fait.» Cela ne permet pas un suivi rigoureux. Quant aux peines de prison de moins de six mois, elle les jugent peu efficaces. Un travail de fond est presque impossible. Elle prend l’exemple de la prison de Mulhouse, où  il faut actuellement quatre mois pour avoir un rendez-vous avec une psychologue. Dans le Territoire de Belfort, cela n’est guère plus simple, avec un taux de surpopulation carcérale de 158 %. 

Le TIG, mis sur le même plan que toutes ces options, permet « de faire travailler la personne 35 heures par semaine. De permettre de créer du lien, de se sociabiliser.» En Finlande, cela est déjà très courant. Depuis les années 1990, le pays ordonne 30% de peines sous forme de TIG. Avec l’idée de « co-créer » des parcours de TIG qui « permettent de réduire de 67% les récidives.»

Donner un sens à la peine

Comme en Hollande et en Finlande, l’envie de la procureure est de réussir à créer ces parcours en lien avec le service pénitentiaire d’insertion et de probation, qui gère toute l’organisation et la mise en place de cette réponse pénale. Le but : trouver le bon endroit où placer les auteurs pour que cela leur permettent de réfléchir à leur comportement. « Avec les TIG, il y a l’idée de réparer le passé et de payer sa dette, en quelque sorte. Mais aussi de préparer l’avenir.» 

Elle évoque des types de « parcours » possibles. Pour des peines liées à la conduite, par exemple, elle envisage des stages qui comprennent des essais sur circuit où l’auteur pourrait être mis dans les conditions réelles de freinage d’urgence, ou d’accident. « Cela peut être beaucoup plus marquant qu’un stage de récupération de point. Même s’il faut réfléchir en gradation selon la gravité des faits.» Elle a aussi pour projet de mettre en place des expériences avec des casques de réalité virtuelle, qui pourraient être utilisés pour assister à l’enterrement de quelqu’un qui a été renversé par exemple, ou pour annoncer aux parents un décès. L’idée est de créer des déclencheurs. Même s’« il faut que cela soit pédagogique. » Ensuite, le parcours de TIG pourrait s’articuler autour d’heures à nettoyer les routes, ou en lien avec un acteur de la sécurité routière. 

Rien de simple, « mais nous allons y aller progressivement.» Pour cela, il faudra « changer de paradigme et le regard des uns et des autres.» En visitant les structures, en organisant des rencontres, en dressant des bilans sur quels sont les résultats à court et long terme de cette réponse pénale. Un travail de fond, qui prendra du temps.

Stages et contributions citoyennes

Plutôt que des peines, parfois, un stage suffit, pense aussi la procureure. « C’est l’idée de la gradation, encore une fois », pointe la procureure. Un tiers des procédures du tribunal administratif concerne des séparations de couple.  Des stages seront organisés au tribunal une fois par mois, d’ici le mois d’avril, animés par le tribunal de Belfort : sur la communication non violente, sur les violences conjugales. « On peut inventer plein de choses. Et notamment des actions de prévention..» 

Il y a aussi l’idée de convertir les amendes en contribution citoyenne. Lorsque les amendes ont des montants moindres (d’environ 300 euros), elles sont redirigées vers France Victime 90, qui utilise ces sommes sur le territoire pour des projets ; comme, par exemple, l’élaboration de séances de coaching gratuites pour les victimes de violences conjugales. « L’idée est de tenir un registre et d’informer les personnes concernées de ce à quoi a servi leur argent.» Avec une idée, toujours : donner du sens. 

TIG 360° pour devenir structure d'accueil

Une plateforme dédiée, nommée TIG 360°, permet de se faire connaître pour devenir structure d’accueil. Une procédure en trois temps se déroule alors pour l’habilitation, l’inscription du poste et l’affectation. Les structures d’accueil peuvent choisir la durée, le nombre d’heures, ainsi que les jours qui les arrangent. C’est le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) qui aiguillera des profils, qui organisera des rencontres ainsi que des formations pour le tutorat.

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