Le symbole est fort, au pied du monument des Fusillés et martyrs de la résistance, esplanade Anne-Franck, à Belfort. Vincent Jeudy, Jean-Louis Bertrand, Jean-Louis Romain et Philippe Gury apposent leur signature sur le document lançant le collectif Résistance 90, qui rassemble des fils et des filles de résistantes et de résistants aux Nazis et aux collaborationnistes du régime de Vichy. Le document dénonce « la récupération par le Rassemblement national (RN) du prestige de la Résistance, afin de masquer ses racines néonazies ».
Le point de départ est un article de L’Est Républicain, du 26 novembre 2024. Une réaction du député RN du Territoire de Belfort, Guillaume Bigot à un article sur les 80 ans de la Libération de Belfort. Notre confrère Benjamin Cornuez y rappelait que le Rassemblement national était l’héritier du Front national, fondé en 1972 par Jean-Marie Le Pen avec un ancien Waffen-SS, Pierre Bousquet, un ancien milicien François Brigneau ou encore d’anciens membres de l’organisation de l’armée secrète (OAS), qui a tenté d’assassiner Charles De Gaulle en 1962, au Petit-Clamart. Il avait aussi souligné l’ironie de la situation. Nous avions aussi évoqué cette réalité, lors d’une cérémonie en mémoire de l’appel du 18-Juin du général De Gaulle (lire notre article).
Dans sa réaction publiée dans le quotidien régional, Guillaume Bigot indiquait que « le Front national était une coalition hétéroclite où des ex-collaborateurs côtoyaient des résistants ». Il ajoutait qu’il n’avait jamais été membre de ce parti et qu’il avait toujours combattu « les outrances » de Jean-Marie Le Pen. Il soulignait que son engagement était ancré « dans le combat contre toute les formes de haine qui ressurgissent aujourd’hui ». Poursuivant encore : « La véritable ironie, c’est que ma formation politique est en pointe du combat contre le retour du fanatisme, de l’antisémitisme et de toutes les formes de division des citoyens. »
« Notre démocratie est en danger »
Ces propos font bondir les premiers membres de ce collectif Résistance 90, qui dénoncent « un raccourci ». « Cette transformation de l’histoire est une insulte pour la mémoire de toutes celles et tous ceux qui ont risqué leur vie ou donné leur vie pour la France libre et républicaine, pour toutes celles et tous ceux qui ont souffert ou qui ont été victimes de la barbarie nazie », s’indigne le collectif, qui veut surtout éviter de laisser croire que des résistants pouvaient partager des idées d’extrême droite. Ce serait une « atteinte grave au devoir de mémoire », alerte Résistance 90. « Nous voulons remettre les choses dans l’ordre et veiller à ne pas revisiter l’histoire », alerte Philippe Gury.
« Quel culot ! » rétorque Vincent Jeudy quand on évoque la vision de Guillaume Bigot sur la création du Front national. « Les ancêtres de son parti ont couru après les résistants, poursuit-il. C’est irrespectueux au possible. » Selon les membres du collectif, cette stratégie de reconstruction mémorielle résulte « d’une basse manœuvre publicitaire de communicant ». « Ça fait partie d’un travail de propagande, estime Vincent Jeudy. Faire un fascisme souriant et séduisant. »
« Guillaume Bigot aux cérémonies [patriotiques, NDLR], c’est la dédiabolisation du Rassemblement national », déplore Philippe Bury, en montrant la carte de réfractaire de son père Émile Gury. Jean-Louis Bertrand, pour sa part, rappelle le nouveau bouc-émissaire de ce parti, « les Arabes musulmans ». « Hier, c’étaient les Juifs », replace-t-il. « Le bouc-émissaire est toujours le point d’appui des dictatures », indique Jean-Louis Bertrand. « Notre démocratie est en danger », met-il encore en garde.
Le collectif replace aussi les racines fascistes du Front national. La flamme du logo du parti et la même que celle du MSI, parti italien néo-fasciste, créé en 1946 ; la flamme évoque la montée de l’âme de Mussolini au ciel. Vincent Jeudy rappelle, par ailleurs, l’existence de Réseau libre, qui a lancé sur la toile une liste de personnalités de gauche à abattre. « Est-ce que je vais être aussi sur cette liste et avoir une balle dans la nuque », questionne-t-il?
Résistance 90 va se rendre aux cérémonies ou sur les lieux de mémoire de la résistance, pour rassembler les filles et fils de résistantes et résistants. Il imagine aussi créer « une bibliothèque humaine ». « Nous raconterions l’histoire de nos parents résistants », explique Vincent Jeudy. Pour que leur mémoire ne soit pas oubliée. Ou transformée.