Le résultat du vote était tellement acquis que le document de communication en quatre pages A4 était déjà prêt et a été distribué aussitôt la séance levée. Sa page de garde indique : « Desserte de l’Aéroparc : les élus disent non à un projet coûteux, impactant l’environnement pour un flux de circulation insuffisant. Le président du Département, Florian Bouquet, gestionnaire de 547 km de réseau routier, a présenté l’étude d’opportunité de la réalisation de nouveaux tronçons pour la desserte de l’Aéroparc aux élus départementaux réunis en assemblée plénière ce jeudi 30 octobre 2025. L’assemblée a conclu que ce projet au coût élevé et aux impacts majeurs sur l’environnement n’était pas légitime au regard des faibles flux de circulation actuels et projetés. La réalisation de nouveaux tronçons n’a en conséquence pas été validée. »
Un résumé somme toute assez juste de la séance du conseil départemental du Territoire de Belfort de ce jeudi 30 octobre. Mais cette séance, fait assez rare, ne comprenait qu’un seul point à l’ordre du jour : la desserte de l’Aéroparc, et plus spécifiquement la création d’un prolongement nord et sud de la RD 60. La séance et les suspensions de séance (consenties par le président pour laisser la parole à d’autres personnes que les conseillers départementaux) a duré environ deux heures qui ont vu non seulement l’introduction du président, Florian Bouquet, la présentation d’une étude d’opportunité, les réactions de l’opposition, mais aussi les interventions des maires de Frais et de Fontaine, et d’un élu de Fontaine, Simon Bitsch, qui a présenté les grandes lignes d’une contre-étude (lire l’encadré).
« Le jeu n’en vaut pas la chandelle »
Dans son propos introductif, Florian Bouquet a rappelé quelques grandes étapes qui ont motivé ou marqué le projet de prolongement de la RD60. Un budget estimé à 20 millions d’euros en 2022, l’arrêté pris par le conseil départemental et les communes de Menoncourt, Lachapelle-sous-Rougement et Roppe pour interdire le trafic sur le RD 83 et donc les contraindre à transiter par l’A36, la mise en place d’un fonds de soutien aux communes de 250 000 euros « entièrement consommé » pour des aménagements, ou encore le retrait du projet d’Amazon.
L’étude d’opportunité présentée ensuite par Jean-Patrice Demange, directeur des routes au Département, a sérieusement plombé le projet. Les 28 diapos de présentation se résument dans celle consacrée à l’analyse AFOM (ou SWOT en anglais) avec l’inventaire des atouts, faiblesses, opportunités et risques.
Pour les atouts : « la réduction du flux routier et des nuisances dans les traversées de Lagrange, Fontaine et Frais », mais jugées « discutable au regard de la faiblesse du trafic projeté ; et la réponse aux craintes des élus et des habitants des communes riveraines, face au développement de l’Aéroparc. Pour les opportunités : la maîtrise foncière partielle par le Département de l’emprise du prolongement Nord de la RD60 ».
Pour les faiblesses: le « faible trafic modélisé, en situation future, sur les potentiels prolongements Nord et Sud de la RD60; des impacts environnementaux forts : atteinte aux zones humides, cours d’eau, corridors écologiques et à la biodiversité, perte très probable d’habitats et d’espèces protégés, nécessitant des mesures de compensation difficiles à maîtriser et très coûteuses; et une consommation de terres agricoles et de surfaces boisées : perte de terres agricoles et forestières nécessitant des mesures de compensation coûteuses ».
Pour les menaces: « la complexité réglementaire : multiplicité des procédures (environnementales, urbaines, etc.) pour autoriser le projet, possibles recours et retards; la fragilité juridique du projet : bilan coûts / avantages défavorable pour justifier de l’utilité publique, raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) difficilement démontrable au regard des enjeux environnementaux; la conjoncture économique défavorable : fragilité des projections de développement de l’Aéroparc et donc des prévisions de croissance du trafic routier, au regard du remplissage projeté de la zone et de l’actualité économique; le contentieux et oppositions : risque de recours juridiques de la part de tiers ayant intérêt à agir (associations de protection de la nature, riverains,…) à l’encontre de projets routiers, ferroviaires, … »
La conclusion de Florian Bouquet à l’issue de cette présentation : « Le besoin d’une nouvelle route n’est pas caractérisé. J’entends cependant ce qu’expriment les maires, mais l’intérêt général départemental est-il d’investir de si lourdes sommes ? » La réponse à cette question est tombée quelques instants après : « Le jeu n’en vaut pas la chandelle. »
L’opposition refuse de participer au vote
Samia Jaber a été la première à prendre la parole pour l’opposition pour annoncer son refus de prendre part au vote, en dénonçant « irresponsabilité, précipitation, faux espoirs et renoncements ». « Tout est parti d’une promesse en 2021 en pleine campagne départementale pour accompagner l’implantation décidée par le Grand Belfort, celle d’Amazon, contestable sur le fond et pas opportune. Nous nous étions positionnés pour privilégier l’identité industrielle de notre territoire : l’énergie et les transports. Nous avions vu l’implantation d’Amazon d’un très mauvais œil en raison d’emplois à faible valeur ajoutée et de risques pour le commerce de proximité. Nous ne voulions pas d’Amazon juste sur Belfort, mais partout », a-t-elle rappelé, tout en motivant le refus de l’opposition de participer au vote en estimant que « Participer au vote, c’est couvrir vos manquements ».
Bastien Faudot a enfoncé le clou en se basant sur des déclarations faites au Trois en janvier 2022 par Florian Bouquet qui estimait alors que le projet de desserte de l’Aéroparc était « un investissement essentiel pour rassurer les administrés ». « Ces routes promises avaient un seul objet : permettre au dossier Amazon de prospérer », a dénoncé Bastien Faudot. « L’actualité est cruelle », a-t-il ajouté en faisant référence à l’annonce le 28 octobre de la suppression de 14 000 à 30 000 emplois par Amazon à travers le monde. « Toutes les études en 2020 étaient claires : 1 emploi créé par Amazon entrainent trois suppressions d’emplois dans le commerce de proximité. Avec les récentes annonces de suppressions de postes, c’est 0,5 emplois créés pour 3 supprimés ! »
Après les interventions des élus de Frais et Fontaine (lire l’encadré). Les élus de la majorité ont validé l’abandon du projet de réalisation de deux nouveaux tronçons. Florian Bouquet a cependant laissé une « porte ouverte » pour relancer le projet en cas de nouvelles « implantations majeures » à l’Aéroparc. Cette disposition a été elle aussi adoptée par les 12 conseillers de la majorité, sans participation au vote des conseillers départementaux d’opposition.
La présentation de l’étude de faisabilité est consultable ci-dessous.
Un conseiller municipal de Frais conteste l’étude d’opportunité
Les maires de Frais et de Fontaine, Miltiades Constantakatos, et de Fontaine, Pierre Fietier, ainsi qu’un conseiller municipal de Frais, Simon Bitsch, ont pris la parole en marge de la séance du conseil départemental. Les deux maires ont déploré le manque de concertation, notamment dans la conduite de l’étude d’opportunité présentée aux élus. Ils se sont aussi interrogés sur les éléments chiffrés de l’étude sur le trafic et le maire de Fontaine a pointé le manque de respect des usagers de la route (dénoncé aussi par Florian Bouquet) : « On va avoir un drame » a alerté Miltiades Constantakatos pour argumenter en faveur du projet de nouveaux tronçons. Il a aussi indiqué que le conseil municipal de Frais a pris une résolution pour demander que le projet de contournement ne soit pas définitivement abandonné en raison de l’incertitude sur les évolutions de la zone de l’Aéroparc. Ce à quoi Florian Bouquet a consenti.
Surtout, Simon Bitsch, conseiller municipal de Frais, a présenté les grandes lignes d’une contre-étude qu’il a menée. Il estime que l‘étude d’opportunité présentée en séance comporte « certains chiffres erronés ou non qualifiés ». Que les flux présentés entre Frais et Fontaine reposent sur « une hypothèse complètement erronée ». Il a estimé que 1,5 km de voirie en plus représenteraient « 81 000 heures de trajet par an économisés par an, soit deux vies de travail par an ».
Très critique vis-à-vis de l’étude en général, il a estimé qu’elle mettait « en rapport des choses qui ne sont pas comparables » et que les difficultés soulevées étaient « surréalistes ». François Cosnuau, de la Sodeb, a expliqué en réponse que l’étude de modélisation du trafic donne des ordres de grandeurs à ne pas prendre à la lettre, même s’il les estime fiables, notamment parce qu’une vingtaine de boucles de comptages ont été posées pour « objectiver le trafic ».
La contre-étude de Simon Bitsch est consultable ci-dessous.
 
											 
  
															 
															 
															