Marine Ledoux – AFP
Pour le tribunal, qui a rejeté le recours en annulation de l’arrêté préfectoral autorisant l’opération, « l’introduction de spécimens norvégiens présente un intérêt général suffisant », la « conservation de l’espèce dans le massif des Vosges (étant) particulièrement critique ».
En plus de l’intérêt général lié à « la sauvegarde d’une espèce animale menacée d’extinction », la réintroduction « ne porte pas une atteinte excessive aux autres intérêts en présence », a estimé le tribunal après avoir examiné l’affaire au fond.
Le plus gros oiseau sauvage d’Europe, également connu sous le nom de coq de bruyère, est emblématique dans les Vosges, d’où il a pratiquement disparu. Un arrêté préfectoral a autorisé un plan de réintroduction du Grand Tétras, attaqué dès 2024 par plusieurs associations.
Sur neuf oiseaux réintroduits l’an dernier, seuls deux ont survécu, et une opération de capture en Norvège cette année s’est avérée bien en-deçà des objectifs.
Deux référés examinés précédemment par le tribunal administratif de Nancy et visant à suspendre l’arrêté avaient aussi été rejetés par le juge. À l’audience sur le fond le 3 juin, le rapporteur public s’était également prononcé dans le sens d’un maintien de l’arrêté pris par la préfète des Vosges.
Cinq associations de défense de l’environnement et des oiseaux, dont SOS Massif des Vosges, critiquaient les effets de cette première année d’expérimentation « dérisoires, mais potentiellement nuisibles à l’espèce et à l’image des actions de protection de la biodiversité ». Les requérants avaient aussi dénoncé un « dossier entaché d’insuffisances », qui ne donnait pas suffisamment d’informations au public sur le projet.
Les associations estimaient que ce dernier « manquait de rigueur », ne prenait pas en considération le réchauffement climatique, ni l’impact du tourisme sur les oiseaux réintroduits.
Des scientifiques opposés à la réintroduction du Grand Tétras dans les Vosges
Le rapporteur public avait pointé des arguments qui « paraissent davantage révéler une contradiction de fond » sur le projet, mais pas une invalidité réglementaire. Un dossier complémentaire avait été réalisé par les porteurs du projet, le Parc naturel régional (PNR) des Ballons des Vosges et la préfecture. Le tribunal a également écarté ce moyen.
Le Conseil scientifique du PNR des Ballons des Vosges avait lui aussi alerté sur « le risque d’échec très important » des réintroductions. Sur les oiseaux réintroduits au printemps 2024, seuls deux étaient encore en vie le mois dernier, les autres ayant semble-t-il été dévorés par des prédateurs. Et la dernière opération de capture en Norvège, au printemps, n’a permis le lâcher que de sept nouveaux individus, contre 40 à 50 espérés par le PNR.
Fin mai, la préfète des Vosges Valérie Michel-Moreaux avait déclaré à la presse que la réintroduction du grand tétras constituait un « enjeu fort », sa déclinaison dans les Vosges résultant d’une politique nationale. Elle avait souligné que « beaucoup d’énergie était mise » en oeuvre en faveur de cette réintroduction. Le coût du projet, estimé à 230 000 euros par an, est aussi critiqué par les associations. Mais le tribunal a jugé que ce coût « ne paraît pas excessif au regard de l’objectif de sauvegarde » de l’espèce.
L’accord avec la Norvège permet la capture d’un maximum de 50 oiseaux par an, et de 200 sur cinq ans. Le pays nordique en compte 200 000. La France de son côté compte 4 500 individus, selon le site internet des Parcs nationaux, dont 90% dans les Pyrénées et les autres dans les Cévennes et le Jura. Environ 250 grand tétras étaient recensés dans les Vosges en 1972, quand la population est tombée à « moins de 50 individus en 2019 et a été évaluée à moins d’une dizaine en 2022 dont deux coqs », rappelle le tribunal administratif dans sa décision.