Jugaad. En Indien, cela signifie « système D » ou « débrouillardise ». On a par exemple observer cette dynamique pendant le covid-19, quand des imprimantes 3D ont permis de façonner des embouts à installer sur des masques de plongées pour accroitre les capacités des équipements respiratoires des centres hospitaliers. C’est aussi le nom de l’ouvrage de Navi Radjou, vendu à plus de 250 000 exemplaires, qui invite à redevenir ingénieux : L’Innovation jugaad : redevenons ingénieux ! Le conseiller franco-indien en innovation et leadership est classé par Thinkers50 comme l’un des 50 penseurs en management les plus influent au monde. Et aujourd’hui, il promeut une nouvelle logique de développement, portée par l’économie frugale. Il était l’invité exceptionnel du forum hydrogen business for climate, ce mardi 8 et mercredi 9 novembre, à Montbéliard (lire notre article).
« La frugalité n’est pas la même chose que la sobriété », replace Navi Radjou, à l’occasion d’un entretien téléphonique accordé au Trois, en marge du forum Hydrogen business for climate. « La sobriété vise à faire moins », rappelle-t-il. Ce sont les économies d’énergie, la fin de l’abondance. La frugalité, vise à faire avec moins, mais en générant des effets positifs tant économiques, écologiques que sociaux. Concrètement, la frugalité, c’est faire mieux, avec moins. « Dans l’équation de la sobriété, il manque les effets positifs, insiste Navi Radjou. La sobriété ne peut pas être une finalité en soi. »
Les territoires au cœur des transitions
L’injonction de la sobriété invite aujourd’hui à décarboner l’industrie, les transports, l’économie du textile et l’industrie du bâtiment. Notamment. Mais elle n’est pas suffisante. Et l’expert de relever un paradoxe. Le transport de marchandise pèse 6 % des émissions de CO2 en Europe. Mais la source du problème, c’est déjà que 30 % des camions roulent à vide, souligne-t-il, « car la chaine logistique n’est pas optimisée », regrette Navi Radjou. Donc, avant de remplacer les flottes, il faut mieux les utiliser. À l’heure où les coûts logistiques explosent, optimiser permet aux transporteurs de mieux remplir leur camions, aux chargeurs de mutualiser le coût du chargement et à la société d’avoir moins de camions sur les routes. Faire mieux avec moins.
Navi Radjou de citer des initiatives, dont celle de Kiwee mobility, à Lyon, pour présenter la frugalité. Ce sont des voitures emboitables, comme des caddies, qui repose aussi sur un système d’auto-partage. C’est un mix associant blablacar et autolib résume Navi Radjou. « On a besoin de moins de voitures électriques et de plus de partages », remarque-t-il. De l’autre côté de l’Hexagone, près de Bordeaux, c’est le projet Gazelle Tech qui attire son attention. C’est une voiture légère et électrique, à faible impact écologique et qui s’assemble comme un Lego®. Pas besoin, pour elle, de grandes usines. De petits ateliers suffisent et peuvent être disséminer en France. On peut donc facilement réinvestir les villes, voire les friches, et cela limite l’artificialisation des sols. C’est produit localement, valorisant les territoires. Cette démarche frugale conduit à une « régénération » des territoires, qui entameront leur transition, qui va différer d’un lieu à un autre : le dérèglement climatique n’induit pas les mêmes effets partout ; les contraintes ne sont pas équivalentes dans chaque territoire ; les freins à lever non plus. Il faut penser localement le futur répète à l’envi Navi Radjou.
Impulsion locale
Le déploiement de la filière hydrogène s’inscrit dans cette dynamique, selon lui. « Ce qui m’intéresse dans l’hydrogène, c’est son caractère polyvalent et polymorphe, car c’est un vecteur et non pas une source. » Elle permet de décentraliser la production d’énergie et de ramener de la valeur dans les territoires, en octroyant des bénéfices aux populations. « Nous devons décentraliser la production d’hydrogène et la ramener plus proche des lieux de consommations », invite Navi Radjou, évoquant l’importance d’un maillage et la création d’écosystème territoriaux. « Ce sont ces circuits courts qui captent et créent de la valeur. » À ce titre, « l’hydrogène est un levier stratégique pour l’économie frugale », glisse-t-il, convaincu. Mais plus que l’hydrogène, ce sont les solutions à base d’hydrogène qui l’intéressent, et surtout ce qu’elles apportent. Une flotte de bus hydrogène implique une production locale d’hydrogène, donc de l’activité, mais aussi plus de confort pour la population en termes de réduction des nuisances sonores ou de la suppression d’émissions de CO2, tout en limitant le dérèglement climatique.
« Il n’y a aucun pays au monde où l’on voit autant d’efforts régionaux », relève-t-il. Une étude de deux chercheurs de l’UTBM a notamment montrée que le déploiement de la filière en France a d’abord été traité par la presse régionale témoignant de cette dynamique locale autour de l’hydrogène, comme Le Trois le dévoile dans son dernier hors-série dédié à la filière hydrogène dans le nord Franche-Comté, publié en novembre 2022. Dans ce cadre, « nous avons besoin d’une impulsion et d’une conduite du changement à l’échelle locale », intime l’expert en innovation, sensible à la démarche conduite à Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais).
Navi Radjou invite toutefois à ne pas sombrer dans le gigantisme. On ne pourra pas concurrencer la Chine. Il faut conserver cette dynamique locale, en créant une industrie « contributive » pour les territoires et non pas « extractive » et consommatrice. Il met aussi en garde sur le besoin de bien anticiper les usages, pour construire la demande. La voiture électrique est là depuis longtemps, mais elle ne représente toujours qu’une infime partie de la flotte mondiale. S’il y. une offre d’acteurs de l’hydrogène qui s’étoffe, il faut construire la suite de la chaine. « Il faut présenter l’hydrogène comme une meilleure solution, désirable, et non pas comme une alternative. » Et d’ajouter : « C’est l’incarnation qui est importante. » Une incarnation qui passe par des valeurs, des engagements sociaux, sociétaux et écologiques, au service des citoyens. Et les solutions doivent être au service d’un triptyque : les êtres humains ; le territoire ; et la planète.
[Grand témoin inspirant] @NaviRadjou, chercheur en innovation et leadership : « pour l'Europe, l'objectif n'est pas de faire plus que les grandes puissances, mais de faire mieux en termes de valeur ». pic.twitter.com/NjBxg1QeZd
— FORUM HYDROGEN BUSINESS FOR CLIMATE (@HydrogenBFC) November 9, 2022