Tribune de Bruno Alomar, économiste, et Cédric Perrin, sénateur LR du Territoire de Belfort, publiée initialement dans Les Échos
L’hydrogène, une des solutions de l’équation énergétique et environnementale, n’est pas nouveau. Il est déjà très utilisé dans de nombreux procédés industriels (aciéries, cimenteries, raffineries, textiles, engrais…). Sa production, toutefois, est carbonée, car il est principalement produit à partir de méthane. Dans le monde, les besoins en hydrogène avoisinent ainsi les 94 millions de tonnes par an, soit 2,5 % des émissions de CO2 de la planète. Dans ce contexte, le développement de l’hydrogène propre, obtenu par électrolyse, c’est-à-dire par fracturation de la molécule d’eau, est prioritaire.
Mais où en sommes-nous réellement ? Le bilan à ce jour, si l’on est sérieux sur les intentions, est décevant : l’hydrogène bas carbone n’a pas commencé à décarboner l’économie ! La France, volontariste et technologiquement en pointe dans l’UE, a une capacité installée en opération, à même de générer de l’hydrogène bas carbone, et donc de participer à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, inférieure à 20 MW, soit moins de 0,3 % de l’objectif de 6,5 GW retenu pour 2030 ! En Europe, la base installée est de moins de 200 MW.
Or le temps presse : il reste de l’ordre de 6 à 7 années pour créer et faire fonctionner une filière hydrogène complète. Ce n’est pas faute, pour les pouvoirs publics, de s’être mobilisés.
L’Union européenne, avec le plan RePowerUE, a porté ses objectifs à plus de 100 GW en 2030 (50 % de la capacité mondiale projetée). La Commission a autorisé le versement de 5,2 milliards d’euros d’aides dans le cadre du PIIEC Hydrogène (projet important d’intérêt commun européen) et conçu d’autres formats de financement, comme l’Innovation Fund et la banque de l’hydrogène.
Besoin que la demande tire les usages
En France, un Conseil national de l’hydrogène a été installé le 11 janvier 2021 avec un objectif fort, réaffirmé par Emmanuel Macron à Belfort : structurer une filière française de l’hydrogène, soixante ans après la création de la filière nucléaire. Les grands acteurs français de l’énergie se sont aussi donné des objectifs ambitieux (3 GW respectivement pour Total, Engie et EDF d’ici à 2030).
Pourquoi, dès lors, les résultats sont-ils si limités ? La principale difficulté est la lenteur de l’accélération de la demande, c’est-à-dire du passage par les industriels consommateurs d’un hydrogène carboné à un hydrogène bas carbone. Les autorités se sont focalisées sur la production, en dégageant des moyens importants. Mais le développement de la filière exige que la demande se structure et « tire » les usages. C’est parce que la demande se développera que les fabricants d’électrolyseurs pourront se mettre à l’échelle, perfectionner des savoir-faire, développer les compétences, fiabiliser des technologies qui, en l’état, n’ont pas encore été éprouvées à grande échelle, alimentant la défiance des acheteurs.
Briser ce cercle vicieux de défiance est prioritaire, et c’est du côté des grands donneurs d’ordre que les efforts doivent porter. Les États-Unis l’ont compris qui, au travers de l’IRA, mettent l’accent sur la consommation. L’UE s’est focalisée sur la production, oubliant par ailleurs que c’est tout un écosystème qui doit être construit.
Dans ce contexte, les grands acteurs de l’énergie ont un rôle crucial à jouer. Hier, la filière nucléaire a été structurée autour d’EDF, Framatome, Cogema. Les grands acteurs de l’énergie ont les moyens financiers, et, au moins aussi important, les moyens techniques et la compétence. Sans leur mobilisation, les producteurs d’électrolyseurs, généralement de petite taille, n’atteindront pas la taille critique. Car, à la fin des fins, c’est bien l’existence d’une demande privée non subventionnée qui est le signe de la viabilité d’une industrie.
L’UE et la France ont souhaité ne pas reproduire avec l’hydrogène les erreurs passées qui ont conduit à laisser à d’autres, en particulier la Chine, le leadership en matière d’énergie solaire ou de batteries. Il est urgent d’accélérer pour structurer une filière européenne qui aujourd’hui ne parvient pas, faute de projets portés par des chefs de file volontaires, à réellement démarrer.