« Depuis la crise covid, on est toujours directement ou indirectement en crise », observe Paul Curti, président de la délégation du Territoire de Belfort de la fédération française du bâtiment (FFB) depuis 2016, par ailleurs à la tête de la société Curti, créée en 1929, et spécialisée en peinture et plâtrerie. Ce qui pourrait passer pour une lapalissade n’est pourtant qu’une triste réalité d’une situation délicate. Les crises s’enchaînent : sanitaire, économique, énergétique, main d’œuvre… Chaque année depuis 2020 charrie son lot de difficultés pour les entreprises, en particulier dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. « C’est très contraignant », confirme celui qui est en train de passer la main dans sa société.
Aujourd’hui, la crise est dans le neuf. La chute des mises en chantier dépasse les 20 % depuis le début de l’année en France et les permis de construire s’effondre de 30 % indique le président, citant des données nationales. « Nous aurons une baisse importante, car nous n’aurons pas ces travaux dans le neuf », prédit-il déjà. « La situation devrait se compliquer d’ici quatre à six mois, calcule Paul Curti. Pour le début du printemps. »
La crise du logement neuf
Plusieurs éléments précipitent cette situation. D’abord, un achat plus difficile. Le coût d’acquisition du terrain et le coût de la construction, lié à la hausse du coût des matériaux, ont fortement augmenté. De plus, les taux d’intérêt augmentent fortement depuis plusieurs mois. « Le prix de l‘argent est plus élevé », estime Paul Curti. S’ajoute, par ailleurs, un taux d’endettement du ménage plafonné à 35 % des revenus nets et une durée de remboursement de l’emprunt qui ne peut plus excéder 25 ans. Cela crée un effet ciseau peu propice à l’investissement immobilier. « Les primo-accédants ont beaucoup de mal à investir », soulève Paul Curti, ajoutant au tableau la hausse du coût de l’énergie, qui s’est accéléré avec la guerre en Ukraine. Cette crise est d’autant plus paradoxale que la France manque de logement.
« On observe déjà une baisse de l’intérim et du recours à la sous-traitance [dans certains territoires], car il y a une baisse d’activité », indique Paul Curti. C’est notamment le cas dans les grandes métropoles. Des entreprises commencent donc à chercher des missions plus loin et viennent accroître la concurrence dans d’autres territoires. Aujourd’hui, la situation n’est pas encore trop difficile dans le Territoire de Belfort, convient-il, mais cela ne va pas durer. Et le territoire n’a pas non plus de chantiers d’envergure, qui tirent l’activité.
Quelques nouvelles rassurent le président de la délégation belfortaine de la fédération française du bâtiment. Le plan de rénovation énergétique des écoles, annoncé par Emmanuel Macron, va permettre d’engager des travaux dans 40 000 écoles, représentant un marché de 30 à 40 milliards. Une augmentation de 1,6 milliard d’euros de MaPrimeRenov’ a aussi été actée pour 2024, portant l’enveloppe à 4 milliards d’euros. La FFB apprécie cette décision, mais elle ne règle pas la crise dans le logement neuf. Un élément que l’on retrouve dans le prêt à taux zéro, nommé PTZ. Les maisons individuelles neuves sont exclues de ce dispositif, que la fédération du bâtiment aimerait « plus large », rapporte Paul Curti. Car s’il y a « un levier pour les investisseurs », estime le président de la FFB 90, c’est bien le prêt à taux zéro.
Côté approvisionnement, les problèmes de fournitures sont moins marqués qu’ils n’ont été ces dernières années, après la crise sanitaire. Par contre, les prix sont toujours aussi volatiles. « C’est très fluctuant », convient Paul Curti. D’ajouter : « On a du mal à savoir. » L’inflation a ralenti. Par contre, on n’a toujours pas retrouvé les prix d’avant la crise sanitaire.
Le bâtiment face au défi climatique
Le changement climatique n’est pas sans conséquence pour le bâtiment travaux publics, notamment avec la croissance de pics de chaleur. Et la multiplication d’intempéries. Autant d’éléments qui charrient ses risques professionnels. « Nous devons amener les adhérents à sécuriser [leurs salariés], par des pauses, la mise à disposition d’eau », cite par exemple Paul Curti. Il aimerait aussi qu’il existe des régimes indemnitaires des entreprises, à l’instar de ce que l’on a pour les intempéries en hiver, pour faire face à ces fortes chaleurs. Sur les matériaux, il souligne la multiplication de produits moins gourmands en eau, voire prêt-à-l’emploi, donc mieux dosés. « Les entreprises sont aussi plus regardantes sur l’origine des matériaux, apprécie Paul Curti. Dans le plâtre, par exemple, on trouve souvent une composition avec 40 % de plâtre recyclé. » D’ajouter : « Nous avons des taux de recyclage de plus en plus importants dans nos produits. » Il replace aussi l’importance de l’organisation des travaux de déconstruction, avec la préparation des opérations de recyclage des différentes matières. Malgré toutes ces évolutions, Paul Curti est conscient de l’enjeu : « Amener à nos entreprises les défis de demain. » Et de citer par exemple un accompagnement des employeurs pour fournir des tenues protégeant bien du soleil ou des lunettes pour se protéger des UV. Il garde aussi un « œil » sur la modification des températures, qui amènera peut-être un fractionnement des journées de travail.