« Je suis toujours frappé par la résilience du tissu industriel local. » En quelques mots, Emmanuel Viellard, directeur général du groupe industriel Lisi, installé à Grandvillars, et président du Medef Territoires francs-comtois, salue la force des industriels. Depuis 2020, les crises s’enchaînent : crise sanitaire ; crise d’approvisionnement ; crise des matériaux ; crise énergétique ; inflation… Les difficultés ont fragilisé la bonne marche des entreprises, en particulier des usines. « Nous ne sommes plus très nombreux, mais nous tenons », ajoute-t-il. Des risques de récession sont redoutés, mais cela concerne surtout le secteur des services, indique Emmanuel Viellard ; la région est moins concernée.
La grève dans le secteur automobile, en octobre, aux États-Unis, a des conséquences pour la marche d’usines locales, notamment chez les équipementiers. C’est un mois de production en moins ; du chômage partiel est par exemple programmé à Lisi automotive au mois de novembre. « Il y a un ralentissement », note-t-il. Par contre, la visibilité de ces conséquences ne sont pas très claires pour le marché européen.
La conjoncture a surtout des répercussions dans le secteur du bâtiment et des travaux publics. « Il est dans le rouge », valide Emmanuel Viellard. Les mises en chantier sont déjà au ralenti. Et le responsable syndical estime que l’assouplissement des conditions d’accès au prêt à taux zéro (PTZ) « n’est pas suffisant pour relancer », observe le président du Medef régional. « On peut être inquiet », convient-il.
La concurrence suisse
« On nous demande de concourir avec un sac à dos plus lourd », résume Emmanuel Viellard. « Il faut encourager la liberté économique, mais on n’est pas obligé qu’elle pèse sur l’ensemble du système social français (maladie, chômage, mutuel, retraite) », alerte le dirigeant, parfois confronté à cette fuite des compétences de la France vers la Suisse. « En coût global, je ne suis pas sûr d’être loin de l’employeur suisse », estime également Emmanuel Viellard, pointant du doigt le coût du travail en France, et notamment le poids des charges pour les chefs d’entreprise. Le travail frontalier n’est pas un dossier simple. Il est peu entendu, semble-t-il, à l’échelon national. Il fragilise pourtant fortement l’emploi localement.
Le coût de l’énergie se stabilise, même si elle reste chère, « entre 120 et 140 euros le mégawatt », replace-t-il, resituant aussi la flambée de l’année dernière, surtout créée par un vent de panique qui a affolé les marchés analyse-t-il. « Nous sommes plus calmes et mesurés, admet Emmanuel Viellard. Nous avons fait des économies, nous nous adaptons vite. » Il estime la baisse de consommation entre 7 et 10 % sur le dernier hiver. Il regrette surtout que l’on ne prenne pas plus en compte « le modèle nucléaire français », pointant du doigt une énergie allemande fortement produite à partir de centrales à charbon. « Notre modèle français doit être mieux reconnu en Europe, pour protéger les industriels français », encourage Emmanuel Viellard. « Nous avons encore des points d’économie à aller chercher, valide le dirigeant, mais la phase suivante va nécessiter de gros investissements ». Tout comme la décarbonation des moyens de production. Et pour investir, image-t-il, il faut des « marges de manœuvre ».
« Grand danger »
C’est là que le bât blesse, selon le Medef. « Nous avons vu des signaux encourageants », convient Emmanuel Viellard. Pour autant, il n’est pas satisfait. « Nous souffrons de mesures non prévues », dénonce-t-il, réduisant la compétitivité de l’entreprise. Il évoque « un grand danger ». Le report de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), finalement programmée en 2027, ne le réjouit pas. La suppression sera progressive.
Si les autorités nationales sont pointées du doigt, les élus locaux aussi. Les bases de la taxe foncière ont augmenté, ainsi que le versement transport. « [Le versement transport] sert à payer les bus, mais peu de gens de l’entreprise l’utilisent », indique Emmanuel Viellard. Ce dernier s’étonne également, compte tenu du poids des entreprises dans le financement des transports publics, qu’elles ne soient pas représentées au conseil syndical. Il a un peu l’impression de payer « un nouvel impôt ». S’il ne conteste pas l’achat de bus à hydrogène, il a quand même le sentiment que ce sont les entreprises qui les paient. Le poids de « ces impôts de production » rogne la compétitivité souligne Emmanuel Viellard. « On estime le désavantage avec l’Allemagne, de plus de 100 milliards d’euros », avance-t-il comme donnée.
« Nous faisons rattraper les salaires, nous recrutons », replace-t-il. Il perçoit ces augmentations de l’imposition comme de mauvais « signes ». « D’un côté, on veut investir, mais de l’autre on nous impose », met-il en garde finalement.