27 minutes de Belfort, 5 minutes de Delle, 26 minutes d’Audincourt : Boncourt, en République et Canton du Jura, est la première ville d’interface suisse. Elle est toute proche de nombreuses villes du nord Franche-Comté. Cela encourage largement le travail frontalier, favorisé notamment par la facilité de traverser la frontière via l’A16, la Transjurane.
Dans le Territoire de Belfort, 3 948 personnes travaillent en Suisse, selon les chiffres de l’office fédéral de la statistique. Dans le Doubs, ce sont 30 308 travailleurs frontaliers qui vont quotidiennement en Suisse. Et à l’échelle nationale, 20,3% des Français travaillant en Suisse résident en Bourgogne-Franche-Comté, toujours selon la même source. Ils sont, en tout, 42 296 travailleurs frontaliers dans la région, avec 7 travailleurs frontaliers sur 10 qui résident dans le département du Doubs, près de 2 sur 10 dans le Jura et près d’1 sur 10 dans le Territoire de Belfort.
Côté Suisse, le système repose sur trois piliers. L’assurance vieillesse et survivants est appelée premier pilier: c’est une rente de minimum vital garanti par l’État. Vient ensuite le deuxième pilier : la prévoyance professionnelle, avec des taux de cotisation de l’employeur plus ou moins intéressants selon le contrat négocié avec son entreprise. Et un troisième pilier, la prévoyance privée volontaire, facultative. Sans elle, et seulement avec le second pilier, on bénéficie d’une pension de retraite de l’ordre de 50 à 70%. En optant pour une prévoyance privée, on aura une pension d’environ 85 à 90% de l’ancien salaire.
La réforme scrutée de près
Les travailleurs frontaliers qui ont effectué une carrière complète en Suisse peuvent partir comme les travailleurs classiques. C’est-à-dire à 65 ans, hommes comme femmes, à condition d’avoir cotisé 44 annuités.
Par contre, pour les polypensionnés (ceux qui ont travaillé des deux côtés de la frontière), deux cas de figure existent : il y a ceux qui partent à 62 ans, en ayant travaillé majoritairement en France, et qui attendent 65 ans pour toucher la part suisse de leur retraite. Et ceux qui ont d’abord travaillé en France, puis qui travaillent en Suisse jusqu’à l’âge légal de départ dans le pays, soit 65 ans.
Les frontaliers demandent à leur départ à la retraite le détail de leurs trimestres dans les deux pays, puis chaque pays leur verse la fraction de pension due. Dans ce cas de figure, « l’important est d’avoir 171 trimestres. Les frontaliers qui ont longtemps travaillé en Suisse partent souvent sans avoir le taux plein en France. En général, ils ont une petite retraite française et comptent beaucoup sur les deux premiers piliers de la retraite suisse », explique Ibrahima Diao, juriste de l’amicale des frontaliers, une association de défense des intérêts individuels et collectifs des travailleurs frontaliers en Suisse, située à Morteau.
Demain, avec la réforme des retraites françaises, qui consiste à décaler l’âge de départ à la retraite à 64 ans au lieu de 62 ans aujourd’hui et d’enregistrer 43 annuités de cotisations contre 42 actuellement, les calculs se compliquent. Déjà, difficile de savoir, pour le moment, quel effet cela aura sur le montant de la pension française versée aux frontaliers. « Ce sera du cas par cas mais cela va compliquer les calculs et les démarches », explique-t-il. « Chaque jour, nous regardons les amendements pour voir la manière dont est menée cette réforme. Il est très dur de conseiller les usagers pour le moment.»
Le cas par cas inquiète
Certains « cas » inquiètent particulièrement le juriste. Par exemple, il pense aux frontaliers travaillant en Suisse dans des métiers « pénibles ». Jusqu’ici, il était possible, en Suisse, de partir avant 65 ans en se voyant verser seulement le « deuxième pilier » de la retraite, qui représente une petite somme. Alors, la retraite française, versée à 62 ans, permettait aux frontaliers d’attendre jusqu’à 65 ans que leur soit versée la seconde part de la retraite suisse, le « premier pilier ». Demain, avec la réforme, les travailleurs du bâtiment, s’ils partent à 60 ans, devront attendre quatre ans pour bénéficier de leur retraite française. S’ils veulent partir avant, ce sera seulement avec la pension du deuxième pilier et « le montant ne leur suffit souvent pas pour vivre », précise le juriste. Ils devront forcément arrêter plus tard, ou choisir de vivre de manière précaire.
Il s’inquiète aussi pour ceux qui se retrouvent sans travail quelques années avant la retraite. « Avant, lorsqu’un frontalier perdait son emploi en Suisse quelques années avant la retraite, aux alentours de 62 ans, il pouvait demander sa retraite française et la liquider si besoin avant de percevoir la retraite suisse, durant deux à trois années. Avec la retraite à 64 ans en France, ce ne sera plus possible. Ce sera le chômage, quand c’est possible. En tout cas, ils ne pourront pas partir avant en Suisse car les pénalités par années d’anticipation sont de 6,8%.» Inquiet, le juriste indique qu’il va continuer à étudier chaque cas pour aiguiller au mieux les usagers, mais pour le moment, tout est encore très flou.