« Comtois, rends toi ! » lancent les Français aux défenseurs comtois de Dole, en 1636. « Nenni, ma foi », leur ont-il répondu. Cette formule, façonnée aujourd’hui en devise de la Franche-Comté, souligne la détermination accolée aux caractères des Francs-Comtois. C’est qu’il en a fallu, à l’été 2023, de l’opiniâtreté pour sauver des limbes footballistiques le FC Sochaux-Montbéliard, condamné à la disparition du circuit du football professionnel.
Rembobinons d’une décennie. 17 mai 2014, à Sochaux. Quelque 20 000 spectateurs se massent dans le stade Bonal. 38e journée de Ligue 1. Le FC Sochaux-Montbéliard lutte pour sa survie. Il fait tapis, au cours de la dernière journée. En cas de victoire contre Évian-Thonon-Gaillard, le club peut se maintenir. Ce sera une défaite sans appel : 3 buts à 0.
« C’est le début du déclin », souffle Sandro Nardis, le président du conseil de surveillance du FC Sochaux-Montbéliard. Aujourd’hui encore, il évoque ce match comme « un moment traumatisant ». Un moment d’autant plus difficile à vivre que l’on a cru à l’exploit du maintien à la suite du redressement spectaculaire insufflé par Hervé Renard, lors de la 2e partie de la saison. La « détresse » des supporters est encore gravée dans la mémoire de Mikaël Largot, autre actionnaire du FCSM, qui dirige un magasin Leclerc dans le Sundgau. «Ils étaient perdus », se remémore- t-il. À l’époque, il travaille à la billetterie, les soirs de match. Hervé Renard lui permet de vivre la 2e mi- temps de la rencontre sur le banc des remplaçants. Il est aux premières loges du premier acte de cette tragédie.
Passion
Quelques semaines après la relégation, un deuxième acte s’écrit. Le groupe automobile PSA annonce son intention de se désengager du club qu’il a fondé, en 1928. Une idée s’effondre. Le club était viscéralement attaché à la marque Peugeot. Dans le pays de Montbéliard, c’est ressenti comme une trahison. À l’été 2015, la vente est finalisée. L’industriel cède le club aux Chinois de Ledus. Des actionnaires locaux s’étaient pourtant manifestés. « En 2015, nous étions partant pour reprendre le club », replace Bartolino Nardis, fondateur de la société EIMI en 1979. Avec son fils Sandro, ils sont même reçus par la direction de PSA, avenue de la Grande-Armée, à Paris. « La déception est forte quand ils choisissent Ledus », témoigne Bartolino Nardis, dix ans plus tard. Et l’incompréhension n’est toujours pas dissipée.
28 juin 2023. La direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le gendarme financier du foot français, rétrograde le FC Sochaux en National 1. Un coup de massue. Le dernier acte d’une pièce, qui sonne comme l’épilogue d’une farce débutée neuf ans plus tôt. Au cours de l’été, Romain Peugeot monte un premier projet pour reprendre le club et le maintenir en Ligue 2. Début août, le projet échoue. Mais un espoir est né dans le pays de Montbéliard. Un territoire se mobilise. Un peuple se lève. Jean-Claude Plessis entre en scène. Il pousse pour que le club soit racheté et reparte en National 1 ; en jeu, la conservation du statut professionnel. Il appelle alors quatre personnes, comme des premiers de cordée : Bartolino et Sandro Nardis, Xavier Thévenot et Pascal Groll. Les têtes de gondole d’un actionnariat qui sera finalement composé d’une quarantaine de personnes.
Très vite, ils s’associent. Leur mission ? Sauver le club en moins de dix jours. « On ne se connaissait pas », en sourit aujourd’hui Xavier Thévenot. La première rencontre se fait par visio-conférence. Les coups de téléphone s’enchaînent. Les nuits sont courtes. Le 10 août, le club est racheté aux Chinois de Nenking. La nouvelle dynamique est enclenchée. Un budget est présenté à la DNCG.
Un lieu de rassemblement
« Quand j’ai vu les reportages, je me suis décidé très vite », avoue Xavier Thévenot. Cet engagement est « spontané », assure Sandro Nardis. On parle d’un « monument du foot français », justifie-t-il. Avec son père, ils étaient déjà du tour de table avec Romain Peugeot. «Nous sommes passionnés par le foot », argumente simplement l’industriel pour expliquer ce choix pas tout à fait rationnel. Son père, sa mère, son grand-père… Tous sont des inconditionnels du ballon rond. Bartolino Nardis arrive dans le pays de Montbéliard dans les années 1960. Ce fan de l’Inter de Milan se rapproche inéluctablement du club local lorsqu’il s’installe. De fil en aiguille, il sympathise avec les dirigeants. Et les Jaune et Bleu prennent une place dans son cœur, aux côtés des Nerazzuri. Alors, lorsqu’il crée son entreprise en 1979, c’était tout naturel qu’il devienne partenaire du club. Depuis, le nom EIMI s’affiche dans les travées de Bonal.
Quand Pascal Groll a reçu le coup de fil, lui non plus n’a pas beaucoup hésité. Il est à la tête d’une société qui exploite plusieurs enseignes de restauration rapide, Quick et Burger King, partenaire du club depuis 1999. Ses enseignes ont énormément bénéficié du FC Sochaux-Montbéliard estime-t-il. « T’essaie de rendre au club ce qu’il t’a donné », avance-t-il pour expliquer son investissement. Baptiste Vautherin, 43 ans, dirige B.E.J., un cabinet d’ingénierie. Il est originaire de Dambelin, à côté de Pont-de-Roide. « J’ai découvert le club, comme beaucoup de garçons, à 7-8 ans. Je venais une à deux fois par an à Bonal, avec mon club. » Il aimait le sport. Le foot. Ce n’était pas non plus un féru supporter.
Mais lorsqu’il devient interne au lycée Viette, à Montbéliard, il se pique au jeu. Il prend son abonnement à Bonal et s’engage dans le groupe de supporters des Joyriders. Baptiste Vautherin souligne combien le stade est « un lieu de rassemblement ». Un lieu qui brasse « toutes les catégories sociales ». Un lieu où l’on rencontre les gens autrement, qui casse les barrières.
« Je suis vraiment amoureux de ce club », avoue, pour sa part, Xavier Thévenot, depuis le bord du stade Bonal, à quelques minutes du coup d’envoi contre le Stade Malherbe de Caen, au mois de septembre. Il regarde longuement les tribunes qui se remplissent. Avec la ferveur qui monte. « Vous voyez tout ça », montre-t-il de la main. « Un grand bravo aux supporters, salue-t-il. Ils sont toujours là. À Bonal et à l’extérieur. »
Un point d’ancrage unit ces investisseurs. Mais aussi une foule d’anonymes qui a multiplié les dons à l’été 2023 pour ne pas voir disparaître le FC Sochaux-Montbéliard : sauver le centre de formation. Celui qui a formé depuis 1974 des internationaux comme Bernard Genghini, Joël Bats, Yannick Stopyra, Stéphane Paille, Franck Sauzée, Franck Silvestre, Benoît Pedretti, Jérémy Mathieu ou encore, plus près de nous, Marcus Thuram et Ibrahima Konaté. Ce centre de formation fait l’identité du club. Sa raison d’être.
"Mémoire collective"
Deux ans après la reprise, l’amertume envers les Chinois est encore forte. « Le club a été souillé pendant neuf ans », tance Baptiste Vautherin. Le club doit être reconstruit. Sa mémoire doit être réactivée. « Quand tu perds la mémoire collective, tu perds tes valeurs et tes repères », met en garde Pascal Groll. Finalement, ce qu’ils veulent déjà reconstruire, c’est la fierté d’appartenir à cette communauté du FC Sochaux- Montbéliard.
L’objectif de la nouvelle gouvernance est d’accompagner le club vers une montée en Ligue 2. Condition indispensable pour envisager un équilibre budgétaire. Aujourd’hui, ils ont les contraintes des clubs professionnels, sans les avantages : les droits TV, même s’ils ne sont que l’ombre d’eux-mêmes ; et une meilleure valorisation des joueurs à la vente. Si le FC Sochaux remonte en Ligue 2, le club estime qu’il est capable d’équilibrer les comptes en deux ou trois saisons ; une réalité pas si commune dans le milieu du foot professionnel. « Le but, c’est d’avoir un système qui fonctionne », insiste Baptiste Vautherin avec ambition. Mais non moins d’humilité. « Le conseil de surveillance travaille pour essayer de redorer le blason et remettre à flot, résume Sandro Nardis. Mais le vendredi soir, on n’a pas la main. »
Ils veulent imaginer un nouveau modèle, qui s’appuie sur cette singularité associant capitaux privés, supporters et collectivités locales. Cet investissement n’est pas, pour autant, facile. « On travaille ici », glisse Baptiste Vautherin pour souligner la pression quotidienne qu’ils ressentent. Ces chefs d’entreprises sont au cœur de la cité, avec leur activité économique. Le risque n’est pas anodin.
Aujourd’hui, le club est sur de meilleurs rails. Mais personne n’est dupe. L’apport d’un investisseur extérieur sera nécessaire pour continuer de grandir. « On aimerait voir revenir Peugeot autour de la table », convient Sandro Nardis. Quand il parle de Peugeot, il évoque la marque. Sochaux, c’est Peugeot. Peugeot, c’est Sochaux. L’ancêtre du championnat de France, c’est bien la coupe Peugeot. Cette histoire doit se réécrire. « L’histoire de Sochaux ne nous appartient pas, termine Pascal Groll, pour replacer leur rôle. Nous en sommes simplement dépositaires. »
Depuis 2023, ils en portent une page dans laquelle s’écrit collectivement le récit du FC Sochaux-Montbéliard. Sandro Nardis de conclure : « Le FC Sochaux est une institution au-dessus de nous tous. » Et c’est bien elle qui a motivé leur engagement.
- Article issu de notre magazine hors-série « Le FC Sochaux-Montbéliard, une entreprise franc-comtoise », disponible en format numérique, au prix de 4,5€ : https://letrois.info/kiosque/fcsm-une-entreprise-franc-comtoise/