Propos recueillis par Pierre-Yves Ratti et Thibault Quartier

Où en sommes-nous du redressement du FC Sochaux, 18 mois après la reprise du club ? Après avoir été de 12 millions d’euros à l’été 2023, quel est le déficit aujourd’hui et quel résultat projette-t-on au mois de juin ?
La situation est meilleure. Nous avons réduit la taille du déficit, mais nous avons toujours un déficit structurel important. Il y a eu une augmentation du capital et un abandon des créances qui ont permis de repartir. L’année de la reprise, il y a également eu beaucoup de transferts de joueurs, qui ont permis de combler le déficit. Nous nous retrouvons dans une situation où l’actif joueurs a été vendu. Nous avons lancé la saison 2024-2025 avec un déficit structurel aux alentours de 7 millions d’euros, que nous avons réussi à réduire. Nous avons l’objectif d’arriver en fin de saison avec un déficit d’environ 4,5 millions d’euros. C’est mieux, mais c’est encore beaucoup trop important. Aujourd’hui, nous avons de la trésorerie, mais si nous brûlons 4,5 millions d’euros tous les ans, nous nous retrouverons dans la même situation qu’il y a un an et demi. L’année prochaine, il faut que nous présentions un meilleur budget, en réduisant encore le déficit.

Pour réduire un déficit, il y a deux manières : soit vous augmentez les recettes, soit vous réduisez les dépenses. Quelle est votre option ?
Nous travaillons sur les deux postes. Si nous parlons des recettes, il faut considérer que nous allons en perdre. Il y avait l’aide à la relégation, que nous avions pour deux saisons ; à peu près 900 000 euros l’année dernière et environ 500 000 euros cette année. L’année dernière, nous avions aussi dans notre compte de résultats, une part des subventions des collectivités liées au sauvetage du club – près de 5 millions d’euros. Ces subventions n’avaient pas vocation à perdurer. La saison prochaine, nous partons avec un handicap d’environ 1,5 million d’euros de recettes. Malgré tout, il va falloir que nous fassions mieux. Les recettes qu’il nous reste donc à travailler, ce sont les recettes naturelles du club : billetterie, hospitalités, sponsoring, buvette, boutique… Ce sont des recettes que nous maîtrisons et que nous sommes capables d’augmenter. Maintenant, ce ne sont pas non plus des recettes que nous sommes capables de doper d’une année sur l’autre. Du côté des charges, beaucoup de contrats arrivent à terme. Ils seront ré-épluchés. Les charges seront à rediscuter avec tout le monde.

Que ce soit l’option Ligue 2 ou l’option National ?
J’évoque le scénario le plus compliqué, si nous restons en National. Dans ce cas, la construction de notre budget sera extrêmement difficile pour être serein et sûr de passer la saison prochaine. Si nous restons en National, nous savons qu’il y aura des frictions et qu’il faudra être super minutieux. Si nous montons en Ligue 2, nous serons un peu plus à l’aise, parce que vous récupérez des droits télé. Certes, vous avez des augmentations de charges, notamment liées à la masse salariale et à l’organisation des matchs. Mais il y a aussi un élan populaire autour d’une montée, avec plus de public, plus de sponsors… Nous aurons un déficit moins important en Ligue 2, même s’il restera du travail.



Quand est-ce que vous projetez le retour à l’équilibre ?
En National, ce sera très compliqué, dans le schéma actuel du club, d’être capable de sortir des budgets équilibrés. Une source de recettes très importante [concerne] les droits de mutations et les ventes de joueurs. Sur l’exercice en cours, nous serons à plus de 3,5 millions d’euros entre les ventes, les bonus de joueurs qui sont partis par le passé, les droits de solidarité pour les joueurs formés au club… C’est assez exceptionnel pour un club de National. C’est ce que les clubs de Ligue 2 peuvent espérer. Si nous restons en National, nous aurons des recettes de mutation beaucoup plus faibles.

Devrez-vous faire appel aux actionnaires ?
Nous espérons être capables de construire un budget qui permette de ne pas faire appel aux actionnaires. Encore une fois, si nous restons en National, ce sera très juste et très tendu.
Le FCSM en chiffres
- Budget : 15 millions d’euros
- Déficit : 4,5 millions d’euros en juin 2025 (projet)
- Une douzaine de salariés
- Plus de 200 collaborateurs

Aujourd’hui, l’actionnariat représente combien d’entreprises ?
Nous avons une quarantaine d’entreprises actionnaires du club.

Est-ce toujours ouvert ?
Ce sont des sujets en cours [de discussion] entre les actionnaires. Il y a eu une deuxième levée de fonds à l’intersaisons. Ce sont uniquement les actionnaires déjà présents qui ont augmenté leur part et qui ont augmenté le capital. Il n’y a pas eu l’arrivée de nouveaux. C’est un vrai sujet sur lequel les actionnaires doivent se pencher. Est-ce que nous faisons entrer d’autres acteurs ? Est-ce qu’il y a un ticket d’entrée minimum ? Quelle part dans l’organisation et dans les prises de décision peuvent avoir ces nouveaux actionnaires ? C’est un sujet qui doit être mené par le représentant des actionnaires, Sandro Nardis. C’est leur sujet.


Quelles sont leurs motivations à rejoindre cette aventure ? Comment le ressentez-vous, à votre place de président ?
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne le font pas dans un but lucratif (sourire) ! Ils le font parce qu’ils participent à une aventure et une vraie histoire humaine. C’est un projet assez extraordinaire de reprendre une institution comme le FC Sochaux en troisième division et de tenter de lui redonner ses lettres de noblesse. Soit ce sont des gens amoureux du club, soit des gens très attachés à leur région et qui savent ce que représente ce club. Pour ces raisons, ces investisseurs s’allient pour que le club perdure et résiste.

Pour vous, cela engage une responsabilité pour réussir à les impliquer dans l’aventure. Qu’est-ce qu’on leur propose pour qu’ils aient le sentiment de ne pas être juste un carnet de chèques ?
(Rire) S’engager, ils le font tous de manière très noble. Il y a différents niveaux d’actionnaires ; nous avons une quarantaine d’actionnaires et nous en avons huit qui font partie du conseil de surveillance. Ce sont les actionnaires qui sont impliqués au quotidien dans le fonctionnement du club. Ce sont eux qui donnent les grandes orientations. Nous montons un budget, nous faisons des hypothèses. Ensuite, ils tranchent sur la stratégie financière du club. Ce sont quand même eux qui tiennent les cordons de la bourse ! Vous parliez de créer une aventure humaine : notre rôle aussi, avec Julien (Cordonnier, directeur sportif, NDLR), c’est de les impliquer dans cette aventure humaine et qu’ils vivent le club de l’intérieur.

Le centre de formation a une importance stratégique pour le club. Vous évoquiez des recettes qui ne vont pas se renouveler, car vous avez déjà vendu beaucoup de joueurs. Comment cela va-t-il évoluer ?
Si vous regardez les dix dernières années, l’ensemble des ventes de joueurs a été effectué avec des joueurs formés au club ou passés par le centre de formation, ce que l’on appelle la post-formation. Nous avons bien conscience que nous ne pouvons pas faire sans notre centre de formation pour générer cette recette de ventes de joueurs. Il est important de préserver la formation, de continuer à former des joueurs, de manière à ce qu’ils intègrent notre équipe première. C’est toujours plus intéressant, en termes d’image, de positionnement. Et c’est plus intéressant économiquement.

Vous évoquiez l’importance de préserver la formation, mais est-ce que ça sous-entend de transformer aussi le centre de formation pour gérer ses coûts ?
Tout le club est en train d’évoluer et en train de se repenser. Il n’y a pas de raison que nous ne réfléchissions pas à la façon dont la formation fonctionne. Mais, il ne faut pas casser notre jouet (il met des guillemets à l’expression, NDLR). Il ne faut pas casser notre moteur, ni notre réacteur. C’est toute la difficulté : la formation, nous en avons besoin, nous devons la préserver, mais nous devons être vigilants à tous nos postes de charges. C’est un fin dosage entre la performance et la réalité économique.
Une section sport-étude foot-féminin en projet
La section féminine est un « enjeu » pour le FC Sochaux-Montbéliard, confirme Clément Calvez. La discipline se développe fortement. Le club veut prendre cette tendance, mais « tranquillement et sereinement ». « Avoir une équipe professionnelle en D1 Arkema ou en D2 n’est pas forcément l’objectif ultime ou l’objectif court terme », modère Clément Calvez. Il veut construire le projet dans le temps. Le club n’a pas encore d’équipe senior ; il faudra donc en constituer une. La création d’une section sport-étude foot féminin, portée par le FC Sochaux, est en projet. Peut-être dès la rentrée, ou la saison suivante. Des discussions sont engagées avec des établissements scolaires, confirme le président.

Nous évoquions l’économie locale par l’intermédiaire des actionnaires. Nous pouvons aussi évoquer les investissements du FCSM dans l’économie locale. A-t-on une idée de ce qu’injecte le club dans le tissu local ?
Il y a une économie directe et une économie indirecte. Aujourd’hui, nous n’avons pas mené cette étude ; ce serait intéressant. Mais dans l’économie directe, ce sont plus de 15 millions d’euros d’investissement dans l’économie locale. Après, l’économie indirecte, ce sont les commerces, les restaurants et les hôtels qui vont tourner autour du stade, les soirs de matchs. Ce sont les sous-traitants de nos prestataires. Nous avons un budget traiteur. Il fait travailler un primeur, un boucher…


Vous évoquez les recettes. Pour les renforcer, avez-vous quelques pistes de diversification, sachant que vous avez un super outil avec le stade Bonal ?
La partie séminaire, c’est quelque chose que nous faisons : séminaires, réunions de travail, Noël d’entreprises… On a un bel outil, mais vous avez aussi l’Axone, l’Atria. Il y a de la concurrence dans le secteur. La partie séminaire est intéressante ; elle fait vivre le stade. Vous faites venir des boîtes qui ne sont pas forcément partenaires, mais qui pourraient le devenir. Par contre, c’est chronophage et elle ne génère pas beaucoup de marge. Il faut se rappeler aussi que nous avons réduit les effectifs et que nous sommes moins nombreux.

D’autres pistes ?
Mieux travailler le mécénat avec l’association et mieux travailler la taxe d’apprentissage, que nous avons abandonnée. On ne sait pas pourquoi ! Aujourd’hui, la taxe d’apprentissage, c’est un impôt que toutes les entreprises versent. Nous sommes en mesure d’en collecter une partie. Le club a été laissé à l’abandon sur tous les aspects administratifs depuis plusieurs années. Il y a eu un vrai focus sportif et un investissement massif sur la partie sportive, qui n’a d’ailleurs pas permis d’atteindre les objectifs. Il faut faire en sorte qu’il y ait un élan général autour de l’équipe pour y arriver. Comme je l’ai répété à plusieurs reprises : nous ne pouvons pas uniquement nous contenter des fans de foot ou des fans du FC Sochaux.

Quel est le nombre moyen de spectateurs au stade Bonal ?
Aujourd’hui, nous sommes en moyenne 10 400 spectateurs, ce qui est énorme. Mais il faut que nous repensions notre modèle. Nous ne pouvons plus nous dire : « 10 400 c’est déjà beaucoup, c’est super, c’est mieux que ce que nous faisions en Ligue 2. » Ça ne suffit plus. Nous voulons faire venir plus de gens pour générer plus de recettes, pour arriver à des budgets équilibrés, pour pérenniser le club et pour avoir des niveaux de performance. Nous ne pouvons pas non plus mettre un fusil sur la tempe des gens en leur disant : « Venez au stade, parce qu’on a besoin d’argent. » Nous ne pouvons pas non plus dire à des sponsors : « Nous sommes en galère, nous avons besoin de vous. » Le côté solidaire a ses limites. Les millions d’euros que nous avons levés, nous n’arriverons pas à les relever si nous sommes de nouveau dans la galère. Il faut donc que nous arrivions à faire en sorte que les gens aient envie de venir au stade pour soutenir l’équipe et pour consommer. Et cela passe par s’adresser à d’autres publics et à des non-fans de foot.

Que voyez-vous pour les attirer ?
Sur la partie hospitalités, nous avons compris depuis quelques années qu’on ne peut pas s’adresser qu’à des entreprises fans de foot. T’es une entreprise, t’emmènes tes clients au restaurant. Plutôt que de les emmener au restaurant, emmène-les au stade. Tu auras un spectacle. Ça fait vingt ans qu’on l’a bien compris et qu’on le fait plutôt bien. Maintenant, ça évolue et on est de plus en plus performants sur ce qu’on peut proposer en termes de réponses à des problématiques de communication comme la notoriété, l’image, le réseau ou la RSE (responsabilité sociétale des entreprises, NDLR).

C’est-à-dire ?
Les clubs proposent de plus en plus de s’appuyer sur eux pour répondre aux stratégies RSE des entreprises : la parité, la féminisation, les démarches écoresponsables, les démarches citoyennes, d’insertion. Aujourd’hui, nous sommes de supers vecteurs pour les aider à y répondre. C’est une nouvelle corde que nous avons mise à notre arc. Nous sommes en permanence dans les quartiers ou auprès des clubs amateurs. Nous évoluons sur les entreprises, mais nous évoluons aussi sur le grand public. Il y a [un changement complet] du mode de réflexion. La billetterie et le grand public, c’était l’épaisseur du trait dans nos budgets. Dans les championnats étrangers et dans d’autres pays – aux États-Unis, pour ne pas les citer – ce n’est pas le cas.


Parce qu’ils proposent un spectacle…
Exactement. Et parce que tu proposes du spectacle, tu proposes du contenu, tu proposes de l’offre, tu t’adaptes à des cibles. Dans le foot français, on a toujours fait : quatre tribunes, quatre prix. Ton argument de vente, c’était : « Venez, on joue le deuxième, ça va être super et on va essayer de le battre. » Le seul argument que t’avais, c’était celui de la performance et tu ne vendais que de la victoire. Le problème, c’est quand tu ne gagnes pas, tu n’as plus d’argument. Ton seul levier, c’est de baisser les prix. C’est un cercle vicieux. Évidemment, t’as toujours tes fans de foot avec qui tu dois continuer à avoir un discours sportif. Mais t’as aussi tous ceux qui ne sont pas fans. Nous sommes dans une agglomération de 300 000 habitants. Pourquoi n’arrive-t-on pas à capter toutes les personnes de cette agglomération qui consomment du loisir ? Pourquoi ces gens, une fois par an, ne viendraient-ils pas au stade Bonal pour consommer un spectacle sportif ? Vous êtes allé au cinéma ? Vous êtes allé dans un bar ? Vous êtes allé dans un parc d’attraction ? Nous devons nous positionner dans ce portefeuille d’offres de loisirs. Je viens une fois au stade Bonal parce que je vais me marrer, je vais bien manger, je vais voir un spectacle, je vais créer un souvenir avec mes enfants, avec mes collègues ou avec mes potes.


La diversification, est-ce déjà repenser la billetterie ? La manière d’offrir le spectacle dans Bonal ?
Complètement. Il faut que nous retravaillions toute notre chaîne du parcours clients et son expérience, qui passe par : « Je me gare au stade ; je rentre dans le stade ; la palpation et le contrôle ; je mange ; je passe à la boutique ; mon entrée en tribune, l’avant-match, l’entrée des joueurs, l’après-match… »

Est-ce que cela implique des réaménagements et des investissements ?
Ça nécessite des aménagements, des investissements, des réflexions. Nous sommes en train d’avancer. Un étudiant de 20 ans ne va pas consommer de la même manière qu’un père de famille de 45 ans qui vient avec ses enfants ou une profession libérale habituée à un standing et à des niveaux de services élevés. Il faut que nous soyons capables d’identifier les cibles, à qui nous allons pouvoir nous adresser à travers une offre et un contenu. Nous n’allons pas réinventer la roue non plus. Il faut y aller [étape par étape]. Le foot, c’est populaire. Et populaire, c’est pour tout le monde.