2018. Le comité social et économique (CSE) de la Caisse d’Épargne veut vendre le cinéma associatif La Clef, au cœur du 5e arrondissement de Paris, à deux pas du jardin des Plantes et à un jet de pierres de la noctambule rue Mouffetard. Professionnels du cinéma, habitants du quartier et citoyens se mobilisent et s’installent dans les murs du cinéma associatif pour le faire vivre. Et le faire sur-vivre. C’est un groupe de l’économie sociale et solidaire, le groupe SOS, qui se positionne pour le racheter. Mais les militants doutent de ses intentions et veulent conserver « le dernier cinéma associatif de Paris », replacent Lucas Gouin et Alexandre Mongis, membre du collectif La Clef Revival, qui vise au rachat de ce lieu emblématique de la capitale et du cinéma indépendant.
Le 1er mars, le collectif a été expulsé. Mais depuis, le groupe SOS a aussi retiré son offre de rachat. Donc la Clef Revival se mobilise pour échanger avec les vendeurs du lieu et racheter le cinéma. Montant ? 4,5 millions d’euros évoquent les deux hommes. Le cinéma compte notamment deux salles de projection, une salle polyvalente pour poursuivre les échanges L’espoir est là, né de deux ans et demi de luttes où 500 projections ont été organisées pour 15 000 spectateurs, qui payaient un prix libre. Des projections qui ont couronné des œuvres rares, oubliées ou fragiles, reposant sur le principe d’une programmation horizontale. Ils ont reçu des soutiens politique importants, mais aussi de grands noms du cinéma, comme Jean-Luc Godard, Agnès Jaoui ou Vincent Lindon.
« Faire exister des films »
Cet acte de désobéissance se veut salvateur pour le cinéma. « L’enjeu de la Clef est de pouvoir faire exister des films qui peinent à être vus », indique Lucas Gouin ; leur combat a été mis à l’honneur à l’occasion de la dernière édition du festival Entrevues. « Ils n’ont pas toujours leur place dans le système actuel de projections », ajoute-t-il. C’est donner un espace à des films qui prennent des chemins de traverse pour porter leur propos. Et de raconter le parcours de René Vautier, qui a reçu une commande pour produire un film sur l’Algérie française par la Ligue française de l’enseignement mais qui, une fois sur place, découvrant ce qu’est la colonisation, détourna le projet pour produire Africa 50, qui a été censuré pendant quarante ans. Le cinéaste a même connu la prison pour sa désobéissance.
Mais la désobéissance, ce n’est pas non plus que le propos du film insistent-ils. C’est aussi la manière de faire ; ils citent ainsi la démarche de Med Hondo, en 1979, avec le film West indies, traitant de la colonisation aux Antilles, essentiellement réalisé avec l’appui de subsides africains. Ces films ne sont pas forcément des films mineurs. West indies est la plus grosse production cinématographique africaine. Ces pas de côté garantissent aussi aux auteurs plus d’autonomie. « C’est plus fragile techniquement, conviennent les deux hommes, en marge d’Entrevues, mais il y a aussi plus de souplesse dans la durée et propos. »
Pourquoi certains films ne trouvent-ils pas de salles ? Ils affrontent, certes, un mur de films. Mais ils peuvent aussi se confronter à des volontés politiques. Et d’évoquer Le Camp de Thiaroye d’Ousmane Senbene, qui raconte le massacre de tirailleurs sénégalais de retour d’Europe, en décembre 1944, par des Français. Il a été projeté en France dix ans après sa sortie, en 1988. « Il faut réaffirmer tous ces évènements cachés, enfouis », insistent-ils. « Il faut chercher, fouiller et aller contre le cinéma dominant », invitent Lucas Gouin et Alexandre Mongis. « Comment prend-on un chemin de traverse, qui peut devenir un chemin de résistance et de révolte », questionnent-ils alors.
La Clef revival s’inscrit dans cette idée. C’est une vision du cinéma. Une histoire que le collectif veut aussi faire perdurer. Mais Lucas Gouin et Alxandre Mongis soulignent surtout la faisabilité économique de leur projet de reprise, basé sur du financement citoyens (200 000 euros déjà collectés), des mécènes, des promesses de prêts et des financements publics (la mairie de Paris a approuvé une résolution en ce sens) ; ce n’est pas qu’une utopie. Ce financement a un objectif : que les montants transmis ne soient pas conditionnés à une contrepartie de gestion du cinéma, qui doit conserver une indépendance totale. Et continuer d’insuffler un esprit de désobéissance.