Antoine Pollez
C’est en 1994 que l’idée a germé dans leur esprit. Pour célébrer l’année suivante le centenaire de l’invention du cinéma par les frères Lumière, natifs de Franche-Comté, l’association des cinéphiles de Vesoul, alors présidée par Martine Thérouanne, se lance dans l’organisation d’une petite manifestation. “Il fallait se démarquer des nombreux festivals existant en France”, se remémorent les deux cinéphiles, qui se sont rencontrés en Thaïlande en 1982.
“Notre histoire personnelle, notre amour pour l’Asie, et l’absence d’un festival en France sur ce thème ont abouti à la création d’un festival des cinémas d’Asie du Proche à l’Extrême-Orient”. La première édition se tient sur cinq jours en avril 1995 : 12 films sont présentés, pour 1.500 entrées. L’organisation est artisanale, mais la machine est lancée : le couple va dès lors consacrer tout son temps libre à faire grandir la manifestation.
Multiples casquettes
“La création d’un festival nécessite une énergie de tous les instants. Les six mois précédant le festival nous travaillons de 16 à 18 heures par jour”, explique Martine Thérouanne, âgée de 70 ans, directrice du Fica et retraitée de l’Education nationale après avoir exercé pendant plus de 25 ans comme documentaliste au lycée Edouard-Belin de Vesoul.
“C’est un peu comme notre troisième enfant”, s’amuse Jean-Marc Thérouanne, délégué général du festival, lui aussi ancien documentaliste. “Il n’y a pas un jour sans que l’Asie et le cinéma asiatique ne soient présents.” Chaque année le couple, qui assure la direction artistique du festival, s’attache à montrer “toutes les facettes des cinémas d’Asie”, en dénichant des films “peu diffusés” en Europe, présentés “au moins” en première française, parfois en première mondiale.
Et la recette fonctionne : en 30 ans, le Fica a présenté 2 200 films, invité 950 cinéastes, accueilli 700 000 spectateurs et composé une équipe de 200 volontaires. Pour réussir ce tour de force, malgré un budget serré qui atteint 250 000 euros les bonnes années, les deux dirigeants ont toujours oeuvré comme bénévoles et multiplié les casquettes : Jean-Marc Thérouanne n’hésite pas à raconter comment il fait lui-même du porte-à-porte auprès des entreprises du secteur pour obtenir des rallonges budgétaires ou un soutien en nature.
Empereur du Japon
“Nous avons tout appris d’un domaine que nous ne connaissions pas”, reconnaît-il derrière ses fines lunettes. “Ce qui est intéressant, c’est la multitude de domaines qui doivent être maîtrisés pour que le festival ait lieu : l’artistique, l’administratif, les rouages de la distribution des films en France et à l’étranger, la recherche de partenaires, la gestion des invités, la communication…
Il faut savoir s’adapter en permanence.” Le travail accompli et leur expertise sur le cinéma asiatique leur valent la reconnaissance de leurs pairs. En 2018 le couple s’est vu décerner le “Korean Cinema Award” au Festival de Busan, en Corée du Sud, parfois présenté comme le “Cannes de l’Asie”.
Et en 2019, Martine Thérouanne a été élevée au rang d’Officier dans l’Ordre du Soleil Levant par l’Empereur du Japon. “Plutôt que de la fierté, nous avons le sentiment de la mission accomplie, celle de prouver que l’on peut poser Vesoul sur la carte mondiale du cinéma”, confie celle qui est aussi régulièrement sollicitée pour présider des jurys de festivals. Mais loin de se contenter de ces distinctions, les cofondateurs s’attachent désormais à transmettre leur savoir-faire et à former de nouveaux dirigeants, afin que le Fica “ne soit pas que l’aventure d’un couple, mais qu’il y ait une continuation du festival”.