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“Un nom très difficile à porter”, aurait-elle dit à la fin de sa vie. Adèle Hugo, fille au destin tragique de Victor Hugo, va ressusciter en musique grâce à des partitions retrouvées presque par hasard au fond d’une malle. Personnage exalté, Adèle Hugo (1830-1915) a passé les 40 dernières années de sa vie en institution psychiatrique, comme étouffée par l’énorme célébrité de son père, décédé en 1885. Mais la fille du poète était aussi une compositrice, dont les œuvres seront jouées “en création mondiale” le 31 mars à Besançon, ville natale de Victor Hugo. Adèle Hugo était d’une nature “passionnée, voire un peu mythomane”, dit d’elle Jean-François Verdier, directeur artistique de l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, qui interprétera ses oeuvres à Besançon, puis à Dole (Jura) le 2 avril.
Lorsque Victor Hugo s’exile après le coup d’Etat du futur Napoléon III en 1851, Adèle le rejoint dans l’île anglo-normande de Guernesey. Rien pour égayer le quotidien de la jeune femme, déjà déprimée par le décès tragique de sa sœur aînée, Léopoldine, noyée dans la Seine à l’âge de 19 ans. Alors Adèle s’adonne à la musique.
Rêve d'opéra
“Elle jouait très bien du piano”, rapporte M. Verdier. C’était aussi “une compositrice autodidacte extrêmement douée. Elle rêvait d’écrire un opéra.” Quant à Victor Hugo, “il trouvait sa musique tout à fait charmante”, ajoute le chef d’orchestre. L’auteur, qui ne voulait pas de musique sur ses vers, fait même une exception pour sa fille: il lui écrit des textes pour ses compositions. “Elle a été la première à mettre en musique des extraits des Misérables, bien avant la comédie musicale à succès qu’on a eue après”, relève M. Verdier.
Mais Adèle, “personnage très romantique, très hugolien”, s’amourache d’un lieutenant britannique, qui repousse ses avances. Adèle n’en a cure et le rejoint au Canada, où elle se fait passer pour sa femme avant de sombrer dans la folie. Elle ne retrouvera qu’une dizaine d’années plus tard la France et son père, qui la fera interner. Une triste histoire portée à l’écran en 1975 par François Truffaut dans “L’Histoire d’Adèle H.”, avec Isabelle Adjani dans le rôle titre.
Dans une malle
Un siècle et demi après l’exil à Guernesey, en 2004, le compositeur Richard Dubugnon y redécouvre les partitions dans une malle à Hauteville House, la maison familiale. “J’y allais avec un a priori”, raconte le compositeur. “Je me disais que si pendant 150 ans ça n’avait intéressé personne, pourquoi cela aurait-il une quelconque valeur ? Ca a été une surprise absolue de découvrir que non seulement ça avait de la valeur, mais qu’il y avait de quoi faire au moins un disque.”
Une redécouverte qui “arrive à point, au moment où on commence à s’intéresser aux femmes créatrices au destin difficile”, comme Clara Schumann ou Alma Mahler, relève-t-il. Adèle Hugo est un cas d’école. “Elle n’a pas pu développer son talent jusqu’au bout parce que son père s’y opposait. Il ne l’a jamais vraiment encouragée”, assure le compositeur. Le poète ne fera jamais éditer la musique de sa fille.
La chanson de Gavroche
Au total, avec d’autres partitions retrouvées au domicile parisien des Hugo, place des Vosges, ce sont 17 mélodies pour voix et piano que M. Dubugnon a remises bout à bout, après les avoir archivées, corrigées, complétées. Parmi elles, différents textes du paternel, extraits des Contemplations ou
des Misérables, comme la chanson de Gavroche, “On est laid à Nanterre”. La musique d’Adèle est “assez simple, mais tout à coup, il y a une nostalgie surprenante, un accord mystérieux, un rythme… C’est peut-être ça qui nous montre le charme de cette artiste sacrifiée”, commente-t-il.
C’est Richard Dubugnon qui a orchestré ces partitions. Elles seront jouées à Besançon par une cinquantaine de musiciens. Près de vingt ans après la redécouverte des notes d’Adèle, “je suis très soulagé et heureux de voir que ça va renaître presque en apothéose”, s’enthousiasme-t-il. “Je ne pense pas que la pauvre Adèle Hugo eut rêvé un jour que sa musique puisse être orchestrée”.