L’altier Lion de Belfort se redresse de son piédestal, puis descend, majestueux, la terrasse de la citadelle. On le retrouve ensuite au Granit, sur le toit du conservatoire Henri-Dutilleux, puis sur celui du Théâtre de marionnettes de Belfort. Le résultat de cette création est saisissant. Et s’inscrit dans un projet artistique façonné par Antonin Lang, le directeur du Théâtre de marionnettes de Belfort. Depuis plusieurs mois, le marionnettiste s’est plongé dans les méandres de l’intelligence artificielle. Il s’est saisi des outils grand public que sont Suno (pour la génération de musique), Midjourney (pour la génération d’images) ou encore kling-ai (pour générer des vidéos).
En fin d’année, il proposera son nouveau spectacle, Homodeus. « L’idée, c’est de questionner notre rapport à l’intelligence artificielle, dans tous les domaines, et notamment artistique », indique Antonin Lang, à quelques heures de l’ouverture de la 36e édition du festival international de marionnettes de Belfort, plus connu sous le nom du Solstice de la marionnette (lire ci-contre). « C’est une des plus grandes révolutions de l’humanité en termes de progrès », justifie-t-il. Mais il ne veut pas être « gratuitement » à charge.
36e édition du festival international des marionnettes
Le Solstice de la Marionnette est né en 1984. Il est annuel depuis 2002. Aujourd’hui, il se nomme festival international des marionnettes de Belfort. Le théâtre, lui, date de 1996, né sous l’impulsion de Jean-Paul Lang, le père d’Antonin. Le festival propose 10 jours de festivités, 60 représentations et 25 spectacles différents, produits dans 10 lieux différents. Depuis le mois de septembre, le théâtre de marionnettes de Belfort a vendu plus de 10 000 billets.
« Je veux parler des dangers, mais aussi des bons côtés de l’intelligence artificielle, comme la lutte contre le cancer », explique Antonin Lang. Dans son spectacle, qui dépeint une société occidentale dans trente ans, Léa est une jeune activiste, hackeuse, militante d’un groupe anti intelligence artificielle ; cette dernière a été intégrée pour régir l’ensemble de la vie des citoyens. La doctrine du parti au pouvoir est de faire entièrement confiance à l’intelligence artificielle. Elle mouline les données qu’on lui procure pour fournir le bien commun le plus rationnel. « Il n’y a plus de jeux de pouvoir, de lobbying », détaille Antonin Lang. « Tout sera fait analytiquement », ajoute-t-il. Indirectement, il questionne le contrôle social déjà observé en Chine, la captation de données. « On touche du doigt le contrôle des masses », indique-t-il. Mais Léa a aussi un frère, qui a été soigné grâce à l’intelligence artificielle. Autant de situations qui vont questionner notre propre rapport à cette révolution technologique et cognitive qui se dessine. Et qui accélère. « Que devient-on, quand 99% de l’intelligence sur terre est générée par intelligence artificielle ? » questionne alors Antonin Lang, qui s’interroge notamment sur la création artistique.

Un spectacle sur l’IA sans intelligence artificielle
Et sur ce sujet, il est son propre cobaye. Il s’est saisi de l’intelligence artificielle pour lancer son processus créatif. « Il n’y aura pas d’IA dans le spectacle, rassure-t-il. Elle m’aide à écrire, à envisager les décors, les musiques », confie-t-il, en montrant les méthodes mises en place. Son spectacle sera 100 % marionnettes et garanti sans IA ; et c’est lui qui tire les ficelles (quoique !). Sur scène, des artistes seront aussi présents, notamment les Belfortains Pierre Michelet et Pierre Enderlin, bien connus des adeptes de musiques actuelles.
« Chaque application a son code et son langage, dévoile Antonin Lang. Il faut savoir comment parler à l’intelligence artificielle pour avoir de bons résultats. » Pour la vidéo du Lion, il y a eu un travail de captation des vidéos, un travail sur la lumière et surtout un travail sur l’écriture du script, pour dissocier les scènes. Cela nécessite une certaine prise en main pour gommer les défauts des outils. D’ajouter : « C’est un outil. Et comme tous les outils, cela dépend de comment on s’en sert. »
Il est autant ébahi par les potentiels de l’IA qu’effrayé par ses risques. « Plus on utilise l’IA, moins on développe notre esprit critique », souligne-t-il, très marqué, par ailleurs, par la capacité de ces outils à faire dire n’importe quoi à n’importe qui. Il imagine déjà intervenir dans les écoles pour discuter de ce sujet avec des élèves, autour de son spectacle. Même si on montre qu’un contenu est faux, on ne peut rien face à l’affluence qu’il génère. Au doute qu’il instille. À la saturation qu’il provoque.
Avec son spectacle, Antonin Lang veut mettre l’intelligence artificielle sur la table. Pour en parler, alors qu’Emmanuel Macron a annoncé flécher 109 milliards d’euros sur ces technologies. Aujourd’hui, le teasing de son spectacle est avenant, rassembleur : le Lion, emblème de Belfort qui s’anime. Il a aussi animé des photos de la Libération pour présenter la puissance de cet outil. Il ne s’empêche pas d’envisager des contenus qui viendront « titiller les gens ». Pour les pousser à réfléchir. Et si c’était nous les marionnettes ? Ne serait-ce pas la question posée par le marionnettiste ? Homodeus doit donner quelques réponses.