Renationalisation à 100% et changement de patron: l’Etat s’apprête à réorganiser EDF, confronté à de lourds défis industriels et financiers.
Par Catherine HOURS et Boris CAMBRELENG – AFP
Renationalisation à 100% et changement de patron: l’Etat s’apprête à réorganiser EDF, confronté à de lourds défis industriels et financiers.
Le ministère de l’Économie a annoncé jeudi lancer “dès à présent” le processus de succession du PDG du groupe Jean-Bernard Lévy, afin de mettre “rapidement” en œuvre la renationalisation du groupe désirée par le gouvernement et annoncée mercredi. “Alors que des chantiers d’envergure seront lancés par l’entreprise dans les prochains mois, l’Etat et Jean-Bernard Lévy sont convenus de lancer dès à présent le processus de succession de ce dernier à la tête d’EDF.”
Le mandat de ce polytechnicien de 67 ans, à la tête d’EDF depuis 2014, une durée remarquable, devait prendre fin au plus tard le 18 mars 2023, compte tenu de la limite d’âge fixée par les statuts de la société. Le nouveau PDG pourra cependant “être désigné avant cette échéance” pour pouvoir être “rapidement en mesure de mettre en oeuvre les chantiers stratégiques et industriels annoncés par le président de la République”, a indiqué Bercy. “Je souhaite que la nouvelle direction d’EDF soit opérationnelle dès la rentrée prochaine”, a même précisé sur Europe 1 le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire.
Pour lui, “il faut que ce soit quelqu’un qui maîtrise les grands programmes industriels, mais également qui ait le sens du compromis”. Le principe de cette prise de fonction anticipée a été acté “en accord avec Jean-Bernard Lévy”, a indiqué le conseil d’administration du groupe, réuni dès 7 h jeudi matin. Dans l’intervalle, “le conseil a renouvelé sa confiance en Jean-Bernard Lévy, qui continuera d’assurer ses fonctions jusqu’à la nomination de son successeur”.
Prélude à restructuration ?
“Nationaliser EDF, c’est nous donner toutes les chances d’être plus indépendants dans les années qui viennent en matière énergétique”, a déclaré jeudi Bruno Le Maire. “C’est une décision stratégique forte et nécessaire pour le pays”, a assuré le ministre. Le gouvernement cite “notamment le lancement du programme de construction de six réacteurs nucléaires EPR 2 et la contribution d’EDF au développement accéléré des énergies renouvelables”. “Nous avons inscrit 12,7 milliards d’euros en compte d’affectation spéciale du Trésor pour financer l’opération de nationalisation d’EDF, mais aussi “d’éventuelles autres opérations qui pourraient être nécessaires d’ici la fin de l’année”, a-t-il déclaré sans plus de précisions, à l’issue du Conseil des ministres.
Mercredi, la Première ministre Élisabeth Borne avait annoncé devant l’Assemblée nationale une renationalisation à 100 % (lire notre article), déjà évoquée en mars par Emmanuel Macron. Dix-sept ans après l’ouverture de son capital et son entrée en Bourse fin 2005, l’électricien est aujourd’hui détenu par l’État à près de 84%, par les salariés pour 1% et par des actionnaires institutionnels et individuels pour les 15% restants.
Mais le groupe, fortement endetté, est confronté à de lourdes charges financières, présentes et à venir, et de vastes chantiers industriels. Alors qu’environ la moitié de ses 56 réacteurs est aujourd’hui à l’arrêt, pour maintenance mais aussi pour des problèmes de corrosion apparus récemment, EDF doit gérer le maintien d’un parc vieillissant.
Le gouvernement lui demande aussi de lancer un programme de nouveaux EPR, dont le seul modèle actuellement en construction en France, à Flamanville (Manche), accuse plus de dix ans de retard. Plombé par une dette qui pourrait atteindre plus de 60 milliards d’euros fin 2022, l’électricien a aussi vu sa situation financière dégradée par la décision du gouvernement de lui faire vendre davantage d’électricité bon marché à ses concurrents, pour contenir la facture d’électricité des Français.
Une décision qui avait alors quelque peu tendu les rapports entre M. Lévy et l’État. Quant aux représentants du personnel, ils ont accueilli mercredi la nouvelle d’une nationalisation avec une certaine méfiance, craignant un prélude à une restructuration plus vaste, dans le cadre de négociations menées sur le statut de l’entreprise entre Paris et Bruxelles.
Les oppositions circonspectes
Une renationalisation à 100% du groupe déjà détenu à près de 84 % par l’Etat “n’a aucun autre intérêt qu’en réalité démanteler EDF comme l’exige l’Union européenne”, a affirmé la présidente du groupe RN à l’Assemblée Marine Le Pen, sur RTL. Ce serait en outre “une perte financière pour les Français”, a-t-elle ajouté, car au moment où le gouvernement “avoue enfin que la situation financière (de la France) est dramatique, on nous dit « on va dépenser de l’argent dans EDF », alors que ça ne sert à rien”. Il faut au contraire selon elle que l’Etat “arrête de ruiner EDF en l’obligeant à vendre à bas coûts à ses concurrents, qui n’ont rien investi, de l’électricité”. Chez Les Républicains, le député et secrétaire général adjoint du parti Pierre-Henri Dumont a jugé que la question d’une renationalisation “n’est pas le vrai sujet”. “L’enjeu est de savoir si le projet (de restructuration) Hercule (mis entre parenthèses mais jamais abandonné, NDLR) est toujours sur la table ou pas (…) Si c’est oui, c’est une mauvaise décision”, a-t-il estimé sur Radio J. À l’autre bout de l’échiquier politique, le secrétaire national du PCF Fabien Roussel a assimilé une renationalisation à “une recapitalisation”, et posé ses conditions. “Recapitaliser EDF oui, mais nous voulons avoir le débat au parlement pour que l’ensemble de la représentation nationale puisse dire ce que nous mettons dedans”, a-t-il souligné sur franceinfo. “Nous voulons un Epic (Etablissement public à caractère industriel et commercial, NDLR), baisser la TVA (sur l’électricité) à 5,5%, sortir les prix de l’électricité et l’énergie du système européen, retrouver notre souveraineté en matière de production d’énergie, et investir dans les filières nucléaires et renouvelables”, a-t-il énuméré. “On verra ce qu’il y a dans le texte. On verra si c’est une nationalisation des pertes quand il y a eu une privatisation des profits”, a souligné le député La France insoumise François Ruffin mercredi à l’Assemblée. “Le privé n’a pas entretenu, a sous-traité (…), et maintenant que ça va mal, il s’agit de nationaliser”, a-t-il insisté jeudi sur LCI. Le ministère de l’Économie a précisé jeudi qu’il lançait “dès à présent” le processus de succession du PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy, afin de mettre en oeuvre la renationalisation “rapidement”.