Le confinement du printemps 2020 a “resserré” notre lien au logement, mais a aussi accentué les inégalités, au détriment des classes populaires et des femmes, explique à l’AFP la sociologue Anne Lambert, chercheuse à l’Institut national des études démographiques.
Par Propos recueillis par Adrien VICENTE – AFP
Le confinement du printemps 2020 a “resserré” notre lien au logement, mais a aussi accentué les inégalités, au détriment des classes populaires et des femmes, explique à l’AFP la sociologue Anne Lambert, chercheuse à l’Institut national des études démographiques.
Qu’est-ce que la pandémie a changé dans notre rapport à notre logement?
Ça redonne une centralité vraiment très grande au logement et aux conditions matérielles de vie, à la fois pour des activités familiales, mais aussi pour le travail, les loisirs… Et comme le confinement débouche sur des formes de télétravail plus ou moins prolongé, et que certains lieux de sociabilité publique n’ont jamais vraiment rouvert, ou alors de façon contrôlée, le lien au logement s’est resserré. Et on l’a vu, ça rouvre des problématiques qui n’ont pas été réglées: de suroccupation des logements, de coût du logement trop élevé, etc. Ça a pour effets de rendre plus visible cette question des inégalités de conditions de vie.
Quelles sont ces inégalités qui ont été accentuées avec les confinements?
Il y a vraiment deux types d’inégalités qui ont été creusées. De manière classique, ce sont les inégalités entre les ménages aisés et les classes moyennes et modestes. L’inquiétude face à la difficulté de payer son logement a fortement augmenté pendant le confinement, mais surtout pour les familles en bas de l’échelle sociale, parce que l’activité s’est arrêtée, les règles du chômage partiel n’étaient pas forcément tout à fait claires à l’époque. Ce sont aussi des inégalités face à la surface du logement : quand on est confiné et qu’on peut avoir une pièce à soi pour travailler, que les enfants peuvent faire leurs devoirs dans les chambres… Et puis tout ce qui concerne l’équipement du logement. C’est par exemple disposer d’un espace extérieur, d’un balcon, avoir accès à un environnement urbain… Après, ce que nous montre le confinement et qui était un peu moins travaillé et connu, ce sont les inégalités de sexes. L’Insee avait bien montré ça : les hommes ont bien sûr pris en charge un peu plus de tâches domestiques et parentales, mais le surcroît massif de tâches générées par le confinement, la fermeture des écoles, des crèches… a été proportionnellement plus absorbé par les femmes. Et donc, les inégalités se renforcent pendant cette période, au détriment des femmes. On a aussi regardé comment elles se renforçaient dans l’usage et l’appropriation du logement. Quand il faut télétravailler au sein du logement, près de la moitié des hommes cadres peuvent se trouver une pièce propre pour travailler ou s’isoler ; pour les femmes cadres, c’est à peine un quart. A statut professionnel égal, elles partagent, se mettent souvent dans le salon, la cuisine, ou d’autres pièces partagées avec d’autres membres du ménage. On a aussi pu voir qu’elles sortaient moins du logement, et c’était surtout vrai dans les couples avec enfants. Toutes choses égales par ailleurs, les femmes sortaient moins, et elles sortaient moins pour motifs récréatifs: faire du sport, des loisirs, etc. Donc le confinement a renforcé les inégalités de classe et les inégalités de genre. La crise sanitaire a dégradé le rapport au logement et le bien-être dans le logement de ces catégories-là.
La sociologue Anne Lambert, chargée de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED), directrice de l’unité de recherche "Logement et Inégalités Spatiales"
— 🔊 lachaineaudio (@lachaineaudio) March 20, 2020
« La crise sanitaire majeure que nous vivons aggrave dans des proportions inédites les inégalités sociales. pic.twitter.com/whwIPu9zy3
Dans quelle mesure le télétravail a marqué une rupture dans le rapport au logement?
Ça veut dire qu’il faut refaire de la place pour la sphère professionnelle au sein du logement ; or, les cadres sont concentrés dans les agglomérations où les logements sont plus serrés, plus denses, donc ça pose la question d’où on réinstalle sa place de travail au sein du logement et comment on négocie, quand le conjoint est en télétravail, la présence partagée au sein du domicile. Les enjeux, c’était à la fois dans le rapport au logement et dans la prise en charge des tâches domestiques. Parce qu’on est en télétravail, mais il va quand même y avoir l’école qui appelle, le technicien d’EDF ou Engie qui passe pour X choses, et il y a un mélange plus fort entre les activités de la sphère privée et professionnelle. Je pense que ça pose peut-être plus de questions aux urbanistes, qui se demandent si on va produire des logements différemment, en tout cas dans les logements neufs. Est-ce que les promoteurs vont devoir faire des logements avec bureaux et réfléchiront mieux aux espaces de vie?