L’Ehpad de la Rosemontoise a été particulièrement touché par la pandémie du covid-19. On y déplore près de trente décès. Cette situation de crise a mis en exergue les conditions de travail des soignants. Difficiles.
L’Ehpad de la Rosemontoise a été particulièrement touché par la pandémie du covid-19. On y déplore près de trente décès. Cette situation de crise a mis en exergue les conditions de travail des soignants. Difficiles. Et un climat de rupture avec la direction. Des mesures administratives ont été prises pour améliorer la situation et la directrice générale est suspendue. Enquête.
Depuis quelques jours, la situation de l’Ehpad La Rosemontoise semble se stabiliser. Selon nos informations, on déplorait, lundi soir, 26 décès depuis le début de la pandémie, liés au covid-19. Trois de plus qu’il y a une semaine. Les mesures prises depuis deux semaines commencent à faire leurs effets.
Pour autant, les témoignages recueillis des salariés sont toujours aussi inquiétants. Le covid-19 s’est installé dans un établissement déjà à bout de souffle. « Au tout début de la pandémie, on s’est tous fait engueuler car on voulait porter des masques », raconte Émilie*, aide-soignante à l’Ehpad La Rosemontoise, pour témoigner de la tension interne. Tout au long de l’entretien, on entend les trémolos dans sa voix. On ressent l’épuisement. « Et encore, vous ne voyez pas les cernes », arrive-t-elle à sourire.
Déficit de personnels
Émilie reconnait que l’arrivée de l’administration provisoire a entraîné quelques modifications : tous les soignants ont été testés au covid-19 ; une prise de température est effectuée avant chaque service. L’équipe a été très touchée par la maladie, comme les résidents. On sent que cela pèse dans les esprits. Quand Émilie se rend au travail, elle craint « de voir la liste des décès ».
En deux ans, cette aide-soignante a vu la majorité des personnes de son service quitté l’établissement. « Quand on demande des choses, c’est limite si on ne passe pas pour des incapables », dénonce Émilie. Le dialogue n’est pas au cœur de la gestion, surtout qu’il n’y a plus de cadre de santé dans son service pour faire le relai avec la direction. « Heureusement, il y a de la solidarité entre nous », relève Émilie.
L’Ehpad accuse un déficit criant de personnel. Un jour, Émilie s’étonne de cette situation auprès de sa hiérarchie. « On m’a dit que trois soignants pour vingt résidents, c’est suffisant. Pour moi, c’est clairement de la maltraitance. » Dans plusieurs courriers que nous avons consultés, le conseil de la vie social (CVS) de l’établissement déplore les manques d’effectifs. Dans une lettre du mois de février, et que France 3 Bourgogne-Franche-Comté a rendu public, on peut notamment lire : « Cette hémorragie de personnels dévoués nous interpelle : elle traduit un malaise réel que vous ne pouvez pas ignorer et qu’il vous appartient de dissiper. » Actuellement, l’aide-soignante rappelle que le manque d’effectif conduit le personnel à n’intervenir qu’à une seule personne dans les chambres accueillants des résidents ayant des symptômes du covid-19. C’est éprouvant.
La directrice générale suspendue
Plusieurs sources confirment des difficultés de fonctionnement et de management dans la structure. Récemment, l’agence régionale de santé parlait “d’une crise majeure”. Et on précise que l’association faisait l’objet d’une surveillance des tutelles, l’agence régionale de santé et du conseil départemental, même si la dernière inspection de l’ARS remonte à 2015. De sources concordantes, on regrette des relations pas très « fluides » entre les tutelles et l’association Servir, alors que cela ne pose aucun problème dans d’autres établissements.
La directrice générale de l’association a été suspendue le 14 avril confirme l’association Servir. « Un faisceau d’indices » a conduit à cette décision indique le président, Joël Goldschmidt, qui ne donnera pas plus d’éléments. « Nous ferons front », assure-t-il également, même s’il reconnait que les informations remontaient mal depuis plusieurs semaines. L’association Servir gère quatre établissements dans le nord Franche-Comté, dont la Villa des Sapins, dans laquelle une situation de crise a également été révélée.
Pas de décès à Couthenans
Au départ de la crise sanitaire, il n’y avait pas d’équipement. À présent, c’est un peu plus. « Mais il est donné au compte-goutte », déplore toujours Émilie. « La direction nous a demandé de garder la sur-blouse pour tous les résidents covid-19, alors que normalement on devrait la jeter dès qu’on sort d’une chambre, s’étonne-t-elle. Et entre deux chambres, on passe dans les couloirs, dans l’ascenseur. » Cette situation dérange sa « conscience professionnelle ». « Je n’ai pas appris à travailler comme ça et je n’ai pas envie de travailler comme ça », confie Émilie, qui en a gros sur le cœur. « Il a été fait ce qui a pu être fait », répond le président, interrogé sur ce problème de matériel. Il précise que la « galère » était « partout » la même. « Je veux bien tout entendre [de la part des salariés], assure le Joël Goldschmidt, avant d’affirmer : Mais il y a aussi de la malveillance. » Et de confier ensuite : « Je salue l’excellent travail de nos équipes. » Le décalage est saisissant.
Le président de l’association Servir rappelle que le deuxième Ehpad de l’association, basé à Couthenans (Haute-Saône), ne déplore aucun décès liés au covid-19. Cet établissement est cependant beaucoup plus réduit, avec 28 lits, contre 115 à Valdoie. La situation y est « aussi tendue [en termes] d’effectif qu’à la Rosemontoise », note-t-il. « Les mêmes mesures ont été prises au même moment, par la même directrice », souligne Joël Goldschmidt, au cours d’un entretien téléphonique d’une dizaine de minutes, accordé ce mardi matin.
« Les choses ont évolué pour que ça aille mieux », confirme une source de l’agence régionale de santé. Mais la crise sanitaire a exacerbé les tensions. C’est certain. Elle a mis le doigt sur des soucis déjà anciens. L’une des questions est de savoir si la rupture entre la gouvernance et les salariés est consommée ou non.
- * Émilie est un nom d’emprunt.