Amande Pichegru, grand maître national de la fédération du Droit Humain, une obédience mixte française, a répondu à quelques question sur la démarche qui i nspire ses membres.
Les francs-maçons suscitent autant de curiosité que de suspicions. Environnement très discret, où l’on est invité, cérémonies mystiques, les présupposés sur les francs-maçons sont nombreux. Amande Pichegru, grand maître national de la fédération française du Droit Humain, l’une des obédiences francs-maçonniques, a accepté de répondre à quelques questions à ce sujet. Elle donne une conférence ce vendredi à la maison du Peuple à Belfort. Un lieu qui ne lui est pas inconnu, puisqu’une loge existe à Belfort depuis 1991, lit-on dans son communiqué.
Qu’est-ce qui caractérise le Droit Humain par rapport à d’autres obédiences maçonniques ?
Le Droit Humain est né de la création, par notamment Maria Deraismes, de la toute première loge mixte de l’histoire de la franc-maçonnerie universelle à Paris le 3 avril 1893. Depuis cette date, nos membres francs-maçons proclament l’égalité parfaite entre femmes et hommes, et surtout la vivent pleinement dans leurs loges pour aider à ce que cette évidence égalitaire vécue concrètement dans leurs ateliers devienne ensuite une réalité dans la vie quotidienne. D’autres obédiences ont fait le choix de rester mono-genres, entre hommes ou entre femmes uniquement. Certaines ne se sont ouvertes que partiellement à la mixité qu’au début du 21ème siècle…En cela le Droit Humain est une obédience pionnière depuis 130 ans. Aussi, au fil des décennies, la Fédération française du Droit Humain (environ 16000 membres actuellement) est devenue la branche française de la plus grande organisation maçonnique mixte au monde : l’Ordre Maçonnique Mixte International le Droit Humain qui est présent dans plus de 60 pays sur les 5 continents. Cet internationalisme fait également pleinement partie de notre ADN.
Vous mettez en avant la féministe Maria Deraismes. Quelle est son histoire ? Pourquoi a-t-elle été la première à être intégrée dans une loge ?
Maria Deraismes fut une journaliste brillante et une féministe très engagée au 19ème siècle. Ses conférences sur les droits de l’Homme avaient suscité un grand engouement dans les milieux progressistes de l’époque. Naturellement, elle mettait en lumière l’injustice faite aux femmes, son courage social et politique et son verbe vif ont été remarqués par des hommes influents membres de la franc-maçonnerie. Mais il était à cette époque inconcevable que les femmes soient acceptées en loge avec les mêmes droits que les hommes. Un frère courageux, Georges Martin, a cependant bravé cet interdit et a transgressé la règle en organisant l’initiation de Maria Deraismes aux mystères de la franc-maçonnerie au début de l’année 1882. Cette initiation fut un véritable coup de tonnerre dans le ciel bleu…et masculin de la franc-maçonnerie de l’époque. Les oppositions et les obstacles furent très nombreux…Voyant alors que malgré son initiation les obédiences continuaient à lui refuser sa pleine qualité de franc-maçonne et à l’accueillir dans leurs loges, Maria Deraismes a alors dû se résoudre, 11 ans plus tard, à créer elle-même une nouvelle obédience : le Droit Humain est né ainsi.
Quelle place a la mixité au Droit Humain ? Comment en êtes-vous venu à en faire l’un de vos principaux préceptes ?
La mixité des sexes et des genres est inhérente à notre organisation depuis son origine. Nous n’imaginons pas pouvoir travailler utilement au progrès de l’humanité sans le partager dans nos loges, qui sont des laboratoires d’idées, d’expériences, d’analyses, de propositions venues de toute la diversité humaine. C’est ainsi que notre idée de mixité se conçoit même au pluriel, en parlant plus volontiers de mixités – avec un « S » – qui intègrent dans nos loges une large diversité générationnelle, professionnelle, sociale mais aussi d’options spirituelles, d’opinions politiques ou philosophiques parmi nos membres. Notre internationalisme est une illustration complémentaire de cette idée de diversité.
Comment vous situez-vous sur les questions de féminisme et d’égalité de genre ? Ces questions sont-elles au cœur de vos discussions/débats ?
Plus que des discussions, l’égalité entre les hommes et les femmes est notre réalité, et je dirais presque notre banalité, une non-question, un non-sujet dans nos loges depuis 1893 déjà…Dans notre organisation, le plafond de verre n’a jamais existé et les femmes occupent les plus hautes fonctions depuis le 19ème siècle sans que nos membres masculins y trouvent une quelconque gêne ou réserve. Dans nos temples et pendant nos cérémonies, nous ne nous vivons pas comme des hommes ou des femmes, mais simplement comme des francs-maçons travaillant à l’égalité entre tous les êtres humains, quel que soit leur sexe. Les sujets qui nous intéressent touchent alors à la dimension initiatique et philosophique de la franc-maçonnerie adogmatique mais aussi aux sujets sociétaux relatifs à la bioéthique, aux enjeux environnementaux, à l’Europe, aux droits de l’homme, à la laïcité,.. et plus globalement à tout ce qui touche au « Progrès de l’Humanité », une expression qui nous est chère
Ressentez-vous que cette obédience vous permet d’avoir un pouvoir d’action plus important dans votre vie de tous les jours ?
La franc-maçonnerie a l’ambition par ses rites de parfaire ses membres sur le plan éthique et dans leurs engagements pour le bien de la société. Pour bien agir dans le monde au service de nos idéaux, il faut tout d’abord bien se connaître, c’est le fameux « Connais-toi toi-même » socratique que nous pratiquons dans nos rituels. Étape après étape, notre parcours initiatique nous permet alors de mieux nous définir humainement et, telle une pierre bien taillée et polie au fil du temps, de mieux trouver notre place dans un bel édifice commun, c’est-à-dire, par analogie, dans la société. Donc oui, la pratique de la franc-maçonnerie permet à chacun de se sentir mieux en phase avec lui-même, donc de se sentir ensuite plus utile à la société.
Les francs-maçons, en règle générale, sont à la fois connus, de nom. Mais très mal/peu connus en vérité. Comment l’expliquez-vous ? Et comment expliquez-vous cette discrétion des loges et des membres qui y siègent ?
Une phrase de nos rituels dit « Cherche et tu trouveras ! » …et il y a absolument tout sur la franc-maçonnerie sur internet ! Nos prétendus secrets, nos rituels, nos travaux, n’ont jamais été autant accessibles…mais évidemment pour ceux qui veulent bien s’en donner la peine en quelques clics ! Mais effectivement, parler de son engagement maçonnique à titre personnel n’est pas toujours chose aisée car le parcours initiatique qui est offert par nos rites est une démarche très personnelle, très intime et qui s’inscrit par nature dans le jardin secret de chacun. De plus, cette expérience sensorielle et fraternelle est difficilement communicable, car les mots justes nous manquent. Aussi, une cérémonie maçonnique est un espace-temps de pure liberté, pleine de poésie et loin du tourbillon du quotidien. Les rituels sont déjà dans toutes les bonnes librairies mais si nous dévoilions sur YouTube la manière dont nous mettons en scène ces rituels avec nos déambulations, nos accessoires originaux, nos musiques, nos habits exotiques…nos cérémonies perdraient de leur intérêt évocateur, de leur beauté et surtout de leurs effets de surprises offertes aux membres étapes après étapes, degré après degré dans leurs cheminement initiatique. Quant à la discrétion de nos membres, c’est justement le respect de leur jardin secret et de leur intimité qui nous empêche de dévoiler leur appartenance maçonnique. Ils se dévoilent eux-mêmes comme membres de la franc-maçonnerie s’ils le souhaitent.
Comment expliquer la méfiance à votre égard ? La discrétion a-t-elle encore une utilité? Et pourquoi est-elle si importante dans vos rites ?
Cette méfiance est clairement le fruit de l’ignorance mais aussi du caractère par nature discret de la franc-maçonnerie. Cette discrétion s’explique par notre amour de la liberté. Notre époque est par ailleurs malade de cette course à la transparence et bon nombre de nos contemporains comprennent de moins en moins que la liberté de chacun se construit aussi par le secret. La démocratie est même indissociable de l’idée de secret et du respect de l’intimité : je pense au secret de l’isoloir qui permet la liberté de vote, à la protection des correspondances et des courriers qui permet la libre circulation des idées, à la protection du domicile personnel qui permet de préserver l’intimité des foyers. Enfin, la liberté associative pour laquelle tant de démocrates, dont de nombreux francs-maçons, se sont battus ! Cette liberté précieuse qui permet à chaque citoyen d’appartenir à une ou plusieurs associations sportives, culturelles, religieuses, syndicales, militantes, politiques…sans se voir obligé de dire à son voisin qui est membre, qu’elles ont été les délibérations, … Pourquoi la franc-maçonnerie devrait-elle être plus transparente que n’importe quelle association de quartier ? Gardons enfin en tête que les premières mesures prises par les régimes autoritaires ou dictatoriaux sont toujours de vouloir rentrer dans l’intimité des personnes et connaitre les détails de leur vie personnelle, intellectuelle et associative. Nos frères et sœurs de la loge du Droit Humain à Moscou en savent quelque chose… Enfin, pour ce qui est de la discrétion sur nos rites, il ne me viendrait jamais à l’idée de dévoiler la fin d’un film à un ami avant qu’il n’entre dans la salle de cinéma ! En franc-maçonnerie, c’est pareil – la mise en scène de nos rituels connue à l’avance leur ferait perdre tout effet initiatique sur celui qui les vit !
Vous donnez de nombreuses conférences ces derniers temps. Dans quel but ? Souhaitez-vous démystifier le rôle des francs-maçons au sein de la société ?
Notre époque est envahie de fakes news, de théories du complot et de mille balivernes sur les réseaux sociaux concernant la franc-maçonnerie, alors nous reprenons notre bâton de pèlerin pour démêler le vrai du faux et expliquer qui nous sommes, ce que nous faisons, pourquoi et comment, en toute simplicité. Mais la franc-maçonnerie ne peut s’expliquer en quelques posts sur Facebook et Twitter ou des stories Instagram…nos conférences publiques offrent alors la possibilité d’un vrai contact humain pour prendre le temps d’échanger. Et puis, surtout après ces épisodes de Covid, nous notons un regain d’intérêt, notamment des jeunes générations, pour la spiritualité laïque et engagée que nous pratiquons. Notre meilleure réponse est de venir à leur rencontre. Il n’y a aucune raison de ne pas répondre à cette attente car la franc-maçonnerie est effectivement une excellente école de vie et de spiritualité. Nous avons plaisir à la partager.
Avec les années, avez-vous perdu des membres, y a-t-il une baisse des adhérents ?
La franc-maçonnerie du Droit Humain se porte plutôt bien, en France comme dans le reste du monde, car elle semble en phase avec les aspirations de plus en plus de citoyens en recherche de sens. Nos effectifs ont peu évolué malgré la Covid qui a éloigné nos membres de nos temples et cérémonies. Mais le retour à la normale n’en a été que plus chaleureux et enthousiaste. Je note par ailleurs que la pandémie qui a sévi ces dernières années et les nouveaux troubles géopolitiques de ces derniers mois ont provoqué un retour sur soi et un questionnement encore plus vif sur notre modèle sociétal. Bon nombre de nouveaux candidats viennent alors « frapper à la porte » de nos temples. Nous restons alors ouverts à tout candidat « libre et de bonnes mœurs » selon notre formule consacrée et sommes toujours heureux d’élargir notre chaîne fraternelle de nouveaux membres.
[Interview réalisée par mail]