L’université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM) fête ses 20 ans. À l’occasion de la remise des diplômes d’ingénieurs à la 20e promotion, entretien avec Ghislain Montavon, le directeur de l’établissement.
L’université de technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM) fête ses 20 ans. À l’occasion de la remise des diplômes d’ingénieurs à la 20e promotion, entretien avec Ghislain Montavon, le directeur de l’établissement. Retour sur ces 20 ans et réflexion sur le rôle des jeunes ingénieurs face à l’urgence climatique.
Remise des diplômes et gala de l’UTBM ce samedi 16 novembre. Ceux du 20e anniversaire…
C’est le 20e anniversaire sous le nom d’université de technologie Belfort-Montbéliard. On n’oublie pas que l’UTBM a deux parents : l’école nationale d’ingénieurs de Belfort, fondée en 1962 ; et l’institut polytechnique de Sévenans, fondé en 1985, une antenne de l’université de technologie de Compiègne (UTC). Les deux établissements ont fusionné en 1999, sous le nom d’université de technologie de Belfort-Montbéliard. C’est une cérémonie de diplômes exceptionnelle à ce titre. C’est la promotion des 20 ans.
2 000 étudiants à l’époque. 3 000 aujourd’hui. Un sacré chemin a été parcouru, marqué par une forte internationalisation…
On enregistre une hausse de 50 % de nos effectifs en 20 ans. Nous pourrions avoir une augmentation plus importante, mais c’est la ressource économique qui est un facteur limitant. On observe aussi une ouverture sur le monde. L’international, on le pense toujours comme un échange. Il y a des étudiants entrants, étrangers ; nous avons 51 nationalités dans l’établissement. Il y a aussi les étudiants français qui partent à l’international. Je leur dis souvent : « Le monde est petit, le monde est divers et le monde est complexe. » Il est important qu’un ingénieur l’appréhende. C’est même une obligation pour être diplômé d’avoir une expérience à l’internationale.
10 000e diplômé
Cette année, l’UTBM remet le 10 000e diplôme d’ingénieurs à l’un de ses étudiants. La promotion honorée samedi consacre 645 nouveaux ingénieurs, la plus importante promotion de ces 20 dernières années. 70 diplômes de master sont aussi remis à des étudiants de cette promotion, ainsi que 10 diplômes d’université.
Il y a 20 ans, on commençait à parler de développement durable. Face aux étudiants, aujourd’hui, vous parlez de l’urgence climatique. Pourquoi cette sensibilisation ?
Durant les vingt dernières années, il y a eu un changement de paradigme. Il y a 20 ans, le principal déterminant de nos sociétés occidentales, c’était l’émergence et la diffusion du phénomène Internet. Nous pensions que le numérique allait offrir de nouvelles opportunités de développement. Un peu avant est apparue la notion de développement durable, portée à la connaissance du grand public par la publication du rapport Brundtland, du nom de la présidente de la commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’organisation des nations unies (Onu). Gro Harlem Brundtland est une ancienne Première ministre norvégienne. On devait faire attention à nos actions et à notre développement pour ne pas corrompre notre environnement et être précautionneux dans l’usage des ressources que l’on puisait. Aujourd’hui, c’est l’urgence climatique. Il est évident qu’il y aura un réchauffement climatique, de l’ordre de + 5 °C d’ici un siècle, de la température moyenne à la surface de la Terre. Cela pourrait engendrer un certain nombres de conséquences extraordinaires. La génération actuelle est sensibilisée, mais je voulais rappeler quelques éléments sur cette urgence climatique.
Il y a 20 ans, le numérique était perçu comme la solution. Aujourd’hui, il est à l’origine de 4 % de l’émission des gaz à effet de serre, autant que le trafic aérien. On estime qu’il représentera 8 % de ces émissions en 2025. Quel est votre regard ?
Il y a un emballement de l’usage du numérique. Nous pouvons aussi partager deux autres données, liées au développement d’Internet. [60 % des flux de données mondiaux] sont liées au streaming. La deuxième donnée concerne l’explosion des objets connectés, dans la sphère privée, mais aussi dans le milieu industriel. Il y a 26 milliards d’objets connectés dans le monde, soit 3 à 4 objets connectés par habitant. Ce nombre devrait être de 75 milliards d’ici 2025. S’il y a des objets connectés, il y a des infrastructures, des Datacenters et des ordinateurs qui vont fonctionner, expliquant cette contribution aux émissions de gaz à effet de serre. Ce qui était une partie de la solution il y a 20 ans est devenue une partie du problème aujourd’hui, même s’il y a d’autres domaines plus fortement contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre.
Vous n’êtes pas non plus pessimiste. Vous estimez que le numérique est une partie de la solution…
Il y a des champs d’activités et des possibilités nouvelles, offertes par le numérique. Il ne faut pas nous en priver. Je vais citer un exemple, en lien avec des travaux que nous menons à l’UTBM. Nous utilisons le numérique et l’Internet des objets connectés pour avoir des détections précoces d’accident vasculaire cérébral (AVC). Nous participons aussi à un projet de recherches franco-suisse, sur un soutien-gorge (retrouver notre article sur ce projet de recherche) qui permettrait de détecter des tumeurs malignes au niveau du sein.
Vous sensibilisez les étudiants à cette problématique. Pourquoi souhaitez-vous que les diplômés de l’UTBM partent avec cette réflexion ?
Au-delà de la technologie, les ingénieurs nouvellement diplômés sont une partie de la solution. L’ingénieur – et la technologie de façon extrapolée – ne s’arrête pas uniquement à penser des objets, des produits et des procédés, mais participe, par son action, à la construction d’un monde. Ils auront un rôle prépondérant.
Vous citez l’Humaniste Rabelais et une réplique de son personnage Gargantua dans Pantagruel : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. » L’une des particularités de l’UTBM est de mettre l’accent sur les humanités. Pourquoi sont-ce des disciplines importantes dans le parcours de vos étudiants ?
Les sciences humaines et sociales à l’UTBM, que nous appelons les humanités, représentent, dans le cursus de formation d’un ingénieur, 25 % du temps de formation. Ce ne sont pas des sciences humaines et sociales « utilitaires », comme les sciences de gestion. Ce n’est pas non plus un supplément d’âme que l’on chercherait à donner à un technologue complètement déshumanisé. Cela fait partie de la complétude de la formation de l’ingénieur. Nous ne faisons pas de la technologie pour les personnes. Nous faisons de la technologie avec les personnes. La technologie part toujours du besoin et de l’usage.