Le député Ian Boucard était renvoyé en correctionnelle en qualité de prévenu, ce mercredi 26 juin, au tribunal de grande instance de Besançon, pour répondre « de manœuvres frauduleuses » dans le cadre de la distribution de faux tracts dans l’entre-deux tours des élections législatives de 2017. Son avocat a fait valoir une question prioritaire de constitutionnalité. Elle a été jugée sérieuse. Elle est envoyée à la Cour de cassation pour étude. Prochain rendez-vous, le 4 octobre. Mais ce ne sera pas encore sur le fond. Les détails de cette procédure.
La chambre correctionnelle du tribunal de grande instance (TGI) de Besançon est-elle compétente pour juger l’affaire des faux tracts distribués par Ian Boucard entre les deux tours des élections législatives de 2017 ? Cette question a été au cœur de l’heure et demie de débat, ce mercredi après-midi, dans le renvoi en correctionnelle du député Ian Boucard. On parle d’abord de la procédure, avant de parler du fond. C’était l’objectif de maître Philippe Blanchetier. Le ténor du barreau est connu pour avoir défendu Nicolas Sarkozy et l’UMP. C’est un spécialiste du droit électoral. Il défendait aujourd’hui les intérêts de Ian Boucard.
Un dépaysement justifié
L’avocat du prévenu a d’abord tenté de contrecarrer le dépaysement de l’affaire au TGI de Besançon, en ayant une lecture singulière de l’article 43 du code de procédure pénale. Cet article permet de dépayser des affaires quand elles concernent des militaires, des gendarmes ou des détenteurs de l’autorité publique. La joute s’est concentrée pour savoir si Ian Boucard était une personne dépositaire de l’autorité publique. Contrairement à un maire, le député n’a pas de pouvoir coercitif estime maître Blanchetier. Un argument rapidement balayé par la partie civile et le procureur de la République, Étienne Manteaux. Ce dernier rappelle qu’un député « vote la loi et participe au contrôle du gouvernement » et que dans ses missions de service public, « il est chargé directement ou indirectement de satisfaire à des actions d’intérêt général ». Sur ce sujet, le tribunal a estimé qu’il était compétent.
Maître Philippe Blanchetier a ensuite sorti son arme lourde. Une question prioritaire de constitutionnalité (photo ci-dessous). Dans quelle mesure Ian Boucard peut-il être jugé une deuxième fois pour les mêmes faits, alors que le Conseil constitutionnel s’est déjà penché sur ce dossier, en qualité de juge des élections. L’assignation en correctionnelle évoque, qui plus est, « des manœuvres frauduleuses », non écrites par le rendu du Conseil constitutionnel rappelle l’avocat. « Vous ne pouvez pas déférer devant une juridiction correctionnelle du chef de manœuvres frauduleuses des faits qui ont déjà été examiné par une juridiction et qui ont sanctionné monsieur Boucard en annulant son élection. Elle aurait pu prononcer l’inéligibilité. Elle ne l’a pas fait », relève-t-il. Selon lui, la décision du Conseil constitutionnel a surtout porté sur le faible écart de voix (279) entre les deux candidats. Et a sanctionné « une irrégularité de propagande », estime-t-il. L’envoi de tracts, certes, mais trop tardivement pour que le candidat adverse puisse répondre.
La France insoumise partie civile ?
Christophe Grudler est la seule partie civile dans ce procès. Pourtant, une deuxième plainte avait été déposée en 2017, par Anaïs Beltran, alors candidate de la France insoumise. Elle ne fait plus partie du mouvement politique. Et ne poursuit pas cette action. Un représentant du parti était bien dans la salle et s’est manifesté. Il semblerait que le parti souhaite se porter partie civile. Le Rassemblement national (ex-FN) a fait parvenir une lettre dans laquelle il stipule ne pas se constituer partie civile.
Une QPC sérieuse
Maître Randall Schwerdorffer, avocat du plaignant Christophe Grudler, rappelle ce que disait les conclusions du conseil constitutionnel : « Il en altérait la teneur. » Il n’en faut pas plus pour faire le lien entre « altérer » et « frauduleux » estime l’avocat, qui rappelle que le Conseil constitutionnel était au courant qu’une plainte avait été déposée en parallèle. « On ne va pas dire d’invalider une élection, tance l’avocat. Mais on va sanctionner le comportement délictuel d’un élu de la République. » De son côté, le procureur de la République estime que « c’est la démocratie qui est abîmée » dans ce dossier. Et de citer la chute de la participation entre les deux scrutins, l’élection initiale et l’élection partielle. Elle passe de 44,15 à 28,91 % des inscrits. 20 971 votants en juin 2017 contre 13 774 en janvier 2018. « Les électeurs ont ressenti un certain dégoût de la politique », regrette Étienne Manteaux. On ne parle pas ici « de sincérité du scrutin », mais de « moralisation politique ». Selon le magistrat, c’est une question « de protection des intérêts sociaux » qui doit primer.
Le juge, Rodolphe Uguen-Laithier, a estimé que la question prioritaire de constitutionnalité n’était pas « dépourvue de sérieux ». Elle sera donc transmise à la cour de cassation qui a 3 mois pour valider sa pertinence. Si c’est le cas, elle sera transmise au Conseil constitutionnel. « Le tribunal sursoit à statuer dans l’attendre de la décision de la Cour de cassation », a donc conclu le juge. La prochaine audience, le 4 octobre, ne sert qu’à faire un point sur l’avancée de la procédure. Pour le fond, il faudra encore attendre.
Cette décision sur la forme fait « partie du processus judiciaire normal », estime maître Randall Schwerdorffer. Son sentiment, en revanche, c’est que si cette question prioritaire de constitutionnalité aboutissait, « on omettrait de la sphère pénale des candidats qui se livreraient à des pratiques comme celles de monsieur Boucard. » À la sortie de l’audience, Christophe Grudler déclare « se battre jusqu’au bout, au nom de l’éthique et de la moralité politique. » De son côté, Ian Boucard n’a pas souhaité faire « de déclaration publique sur une affaire judiciaire en cours ». 2 ans après, cette affaire est loin d’être terminée.