Avec plus d’un tiers des décès enregistrés en France, le Grand Est paie le prix fort pour l’épidémie de coronavirus, ses hôpitaux, déjà en surchauffe, s’apprêtant à affronter cette semaine une “nouvelle vague importante” de patients.
Avec l’AFP (par Damien Stroka, avec Murielle Kasprzak à Metz et Angela Schnaebele à Besançon)
Avec plus d’un tiers des décès enregistrés en France, le Grand Est paie le prix fort pour l’épidémie de coronavirus, ses hôpitaux, déjà en surchauffe, s’apprêtant à affronter cette semaine une “nouvelle vague importante” de patients. – mis à jour le 24 mars à 19h40.
“La situation continue de s’aggraver.” La phrase revient en boucle dans chacun des communiqués de presse de l’agence régionale de santé (ARS) Grand Est sur la progression du Covid-19. Et chaque jour aussi depuis le début de la pandémie, le nombre de contaminations et de décès ne cesse d’augmenter. Lundi soir, dans les dix départements du Grand Est, l’agence dénombrait ainsi 2 348 personnes infectées par le virus, dont 526 en réanimation. 335 personnes ont succombé dans la région. C’est plus d’un tiers des morts dénombrés en France, où le Covid-19 a fait 860 morts, alors que la région accueille 8,35 % de la population totale (données Insee, population totale au 1er janvier 2017). En Bourgogne-Franche-Comté, 62 décès en établissements de santé (soit 7,2 % des décès enregistrés en France) étaient enregistrés ce lundi 23 mars, 410 patients étaient hospitalisés, dont 115 en réanimation. La Bourgogne-Franche-Comté accueille 4,26 % de la population française.
Parmi eux, cinq médecins, dont quatre issus de l’Est de la France, décédés ce week-end. Deux exerçaient dans le Haut-Rhin, foyer majeur de contamination après un rassemblement de quelque 2 000 fidèles d’une église évangélique, fin février à Mulhouse. Contaminés, certains d’entre eux avaient involontairement répandu le virus à travers la France.
"La vague est là"
Depuis, la situation n’a cessé de d’empirer et a même connu une brutale aggravation lundi : outre l’annonce du décès des quatre médecins, l’ARS et la préfecture ont annoncé la mort “en lien possible avec le Covid-19” de vingt résidents d’un Ehpad des Vosges, à Cornimont, où vivent 163 personnes âgées.
“La vague est là.” Cité dans le Journal du Dimanche, Emmanuel Macron avait résumé en quelques mots la rapide progression du virus dans l’Hexagone. Lui faisant écho, le Premier ministre Édouard Philippe a averti lundi soir que “le temps du confinement” des Français, initialement fixé à au moins quinze jours, pourrait “durer encore quelques semaines”.
Dans le Grand Est, le monde médical s’attend à ce que l’épidémie franchisse cette semaine un nouveau cap. En Moselle, “la vague arrive” en provenance des hôpitaux alsaciens sans parvenir pour autant à les désengorger, et “la saturation augmente chez nous”, constate François Braun, chef des urgences à l’hôpital Mercy de Metz. À Sarreguemines, “la vague est déjà là”, confirme Emmanuelle Seris, à la tête des urgences de l’hôpital mosellan, où les services “commencent à être saturés” depuis lundi. Il y a “beaucoup d’angoisse et de fatigue dans les équipes”, explique-t-elle.
Dans le Grand Est, où plusieurs hôpitaux sont déjà proches de la rupture, le monde médical s’attend à ce que l’épidémie franchisse un nouveau cap, avec l’afflux de très nombreux autres patients. “Nous nous préparons sans surprise à aborder une vague assez importante”, expliquait lundi Marie-Odile Saillard, directrice générale du CHR de Metz, qui dispose de 74 “lits Covid” de réanimation. Mais “nous n’avons ni les lits, ni les locaux, ni les équipements, ni les personnes pour augmenter comme ça nos capacités dans des proportions extrêmement importantes”, prévient-elle, alors que la Moselle compte déjà 99 patients Covid en réanimation.
Aléas
“On est en ordre de marche, la difficulté va être la hauteur de la vague. Le pic est attendu en milieu de semaine et va durer quinze jours, trois semaines, mais ce sont des prévisions avec beaucoup d’aléas”, renchérit Bernard Dupont, directeur général du CHRU de Nancy. “L’organisation qu’on a ne va pas durer huit semaines”, s’inquiète-t-il.
Pour faire face, l’ARS Grand Est a doublé “les capacités d’accueil en réanimation”. “Près de 900 lits” sont disponibles sur l’ensemble d’une région où, avec 58 patients en réanimation, les départements de Champagne-Ardennes (Aube, Haute-Marne, Marne et Ardennes) sont moins touchés (258 en Alsace et 210 en Lorraine).
Des évacuations (vidéos ci-dessus) de patients vers d’autres hôpitaux français mais aussi vers plusieurs pays limitrophes (Allemagne, Suisse…) ont d’ores et déjà eu lieu pour soulager plusieurs hôpitaux, notamment celui de Mulhouse, renforcé cette semaine par un hôpital de campagne militaire. Cela suffira-t-il pour affronter la déferlante qui s’annonce ? Céline Durosay est infirmière à l’hôpital Nord-Franche-Comté. “On sait que ça va être très long, on se demande quand le haut de la vague va arriver”, confie la secrétaire nationale de la coordination nationale Infirmière, qui peste contre l’absence de matériel, notamment de masques, pour se protéger du virus. Car le personnel soignant est en première ligne.
Un TGV sanitaire
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, l’a lui-même annoncé devant l’hémicycle clairsemé de l’Assemblée : ce TGV sanitaire “transportera 30 malades de Strasbourg et Mulhouse vers des territoires où il y a de la place”. C’est une “première en Europe”, a-t-il insisté. Contacté par l’AFP, le ministère de la Santé a toutefois précisé ensuite que ce train sanitaire permettra “dans un premier temps l’évacuation de 20 patients” vers les Pays-de-la-Loire, jeudi. Une autre première a marqué la journée de mardi: l’admission d’un premier malade sous les tentes kaki de l’hôpital de campagne déployé par le Service de santé des armées au pied de l’hôpital civil de Mulhouse. Dans les deux cas, il s’agit de désengorger les hôpitaux du Grand Est, proches de la rupture devant l’afflux croissant de patients.
Aux Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS), 253 des 12 500 salariés ont ainsi été testés positifs, a indiqué Christophe Gautier, son directeur général. L’établissement a mis en place “un protocole de dépistage systématique” des personnels présentant des symptômes du Covid-19 et ceux qui sont positifs“ne travaillent pas”, a-t-il indiqué à France Bleu Alsace.