L’odeur du charbon en train de brûler embaume le parc boisé de l’UTBM à Sevenans. Un homme, de dos, tient sa casquette d’une main en répétant de l’autre un mouvement de haut en bas, sans s’arrêter. Il actionne un soufflet à main, relié, un peu plus loin, à un four en cheminée d’où s’échappent de hautes flammes à chaque coup de soufflet. Marion Berranger, ingénieure de recherche pour le compte du CNRS et de l’Iramat, l’institut de recherche sur les archéo-matériaux, sort de son laboratoire en s’essuyant les mains tachées par le charbon sur son tablier. Elle est en train de comparer, avec des étudiants, la différence entre un métal fait dans un bas-fourneau du 14e siècle et un métal réalisé avec des méthodes contemporaines. Devant leurs yeux, une expérience est en train de se dérouler : une expérience de réduction avec un soufflet à main dans un bas-fourneau. Une pratique datant, justement, du 14e, permettant de faire du métal sous sa température de fusion.
« Nous avons construit ce petit four en 2019. C’est un objet expérimental qui nous permet de tester des hypothèses qui viennent de nos études de site archéologique », sourit Marion Berranger. Elle, et plusieurs collègues de l’Iramat ont établi leur laboratoire à l’UTBM, en collaboration avec deux autres laboratoires de l’université d’Orléans et de l’université Paris-Saclay. Ils sont environ 9 professionnels à Sevenans à travailler sur la métallurgie à l’échelle de la Bourgogne-Franche-Comté. Ils effectuent des fouilles, travaillent sur site, en laboratoire, mènent des analyses chimiques, des travaux sur les déchets, des expérimentations qui amènent à tester des hypothèses…comme ce mercredi 12 octobre, à l’occasion de la fête de la science.
L’ingénieure se couvre les yeux avec des lunettes de protection. Derrière le bas-fourneau, un atelier. Une balance. 2 kilos de charbon. 2 kilos de minerai. « Nous préchauffons le four depuis ce matin. À 13h, nous avons commencé à charger. Une fois que le charbon et le minerai arrivent en haut de la cheminée, on attend que tout redescende. Puis on recharge ! Environ toutes les 20 minutes », explique la professionnelle. Le but du jour, lui, n’est pas de faire du métal. « Ça, on sait le faire maintenant.» Aujourd’hui, on étudie les déchets. Plus précisément, la scorie.
Comprendre les techniques du 14e siècle
Pour faire du métal, il faut donc du charbon, et du minerai. Grâce au charbon, une réaction chimique se crée, qui permet d’avoir du fer en brisant des liaisons atomiques. Avec cette base de fer, les grains de minerai, eux, s’agglomèrent progressivement : cela crée une masse de métal « plus ou moins compacte », explique Marion Berranger. Parallèlement, le minerai devient de la silice qui fond et forme un déchet qui s’appelle de la scorie. La scorie, sous sa forme liquide, vient couler sous le métal et s’évacue via un petit trou au bas de la cheminée.
« Sur un atelier, ce qui reste, ce sont les déchets liés à la production. Nous travaillons sur des sites archéologiques en Bourgogne-Franche-Comté où l’on retrouve des montagnes de scorie de plus d’une dizaine de mètres de haut qui datent de l’époque romaine et qui traduisent des productions intensives », narre l’ingénieure. Sur ces sites, les archéologues ont pu retrouver des déchets formés en canaux, superposés. Elle montre un exemple, admirative. Cela ressemble à des boudins de métal. « Nous ne savons pas du tout comment ils ont réussi à faire cela d’un point de vue technique ! Nous, lorsque la scorie s’écoule, cela fait des flaques. C’est l’objet du jour.»
14h39. « Venez voir ! ». Les premières flaques de scories se mettent à couler du petit trou du bas-fourneau. Un bon signe, après seulement une heure et demie à faire réduire le métal et le minerai. Mais la mission n’est pas encore remplie : « Il faut qu’on trouve comment faire des boudins ! », plaisantent les ingénieurs. Car si tout cela peut paraître anodin, ces recherches permettent d’évoluer sur les méthodes pour des matériaux contemporains. Et de mener de nombreuses recherches sur la composition des matériaux, les techniques anciennes. Pour créer de la documentation historique, des maquettes. Et aussi transmettre cela aux étudiants-chercheurs de l’UTBM. Qui doivent apprendre à modéliser le fonctionnement du four… dès 16h. Suspens, on ne sait pas encore si l’opération a réussi.