Loéva Claverie
« On est en colère. Chaque pharmacien pourra vous le témoigner », confie, amer, un pharmacien, qui souhaite rester anonyme pour ne pas faire de concurrence à une autre officine de son village. Initiée il y a plus de quinze jours, la grève des pharmaciens de désemplit pas. Leur fureur non plus.
Presque toute la profession est mobilisée depuis le 1er juillet, pour une durée pour l’instant indéterminée. Première action de grève : la cessation du service de gardes de nuit. Dans le Territoire de Belfort, l’Agence régionale de santé (ARS) recense aujourd’hui « 89% de pharmacies s’étant déclarées grévistes, sur les 47 officines du département ».
Les pharmaciens protestent contre un texte, porté par Yannick Neuder, ministre de la Santé, qui vise à réduire le plafond des remises sur les médicaments génériques. Concrètement, la vente des médicaments génériques représente 30% de la rémunération d’une pharmacie d’officine. Or, le texte prévoit qu’un quart de ce pourcentage serait pris aux pharmacies. « Cela revient à une baisse de 7,5% de notre marge nette à la fin, explique Rodolphe Pourtier, vice-président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de la région de Franche-Comté (FSPF). Cela représente en moyenne une perte de 30 000 euros par an. »
30 000 euros de pertes par an
Prévue dans la loi, la mesure est applicable directement par décret, quand les budgets de l’Assurance maladie sont dépassés, poursuit Rodolphe Pourtier. « Avec l’augmentation des dépenses de l’Assurance maladie, dues à une explosion des arrêts maladie et des hospitalisations, les caisses sont vides. Cette mesure existe pour les renflouer et corriger la dépense publique, c’est dans la loi. » Mais les syndicats et professionnels reprochent que cette décision ait été prise au début de l’été et des vacances, sans concertation avec la profession.
Au-delà de la colère, c’est l’inquiétude et le désarroi qui règnent dans les pharmacies depuis plusieurs semaines. Un pharmacien dénonce ainsi des mesures économiques « imposées », « qui visent à retirer de la marge aux officines et à mettre en péril leur économie ». Les véritables enjeux derrière cette perte financière sont des pertes d’emplois voire des fermetures d’officines. « Aucune entreprise, quelle qu’elle soit, n’assumerait du jour au lendemain de prendre 7,5% de marge, sans prendre de mesures drastiques », assure Rodolphe Pourtier.
Des risques d’autant plus réalistes que la situation actuelle des pharmacies en France n’est pas au beau fixe. Il y a déjà 400 officines par an qui mettent la clé sous la porte, selon un professionnel belfortain. « On estime entre 6 à 8 000 les pharmacies qui pourraient fermer dans les deux années suivant la mesure. C’est dramatique, s’alarme-t-il. Ça a des conséquences sur l’accès aux soins. Pour les patients, c’est encore un territoire qui ne sera pas fourni en médicaments. Et ce sera aussi des licenciements en cascade. Les syndicats estiment que cela pourrait engendrer 300 000 licenciements. » Selon le vice-président du syndicat régional des pharmaciens, 30 000 euros représentent un peu plus du salaire sur un an d’un préparateur de commandes expérimenté et une fois et demi le salaire pour des préparateurs débutants.
La mobilisation perdure
Prise par décret le 8 juin avec application au départ le 1er juillet, la mesure a été repoussée au 1er août pour son application à la suite des mobilisations. Mais les pharmaciens n’ont pas mis fin à leur première action de contestation.
Face à l’absence de pharmacies de garde, l’ARS a compétence pour réquisitionner et ainsi assurer la continuité du service public. Mais dans le Territoire de Belfort, la gestion de la situation a été un peu chaotique selon ce même pharmacien. « Le service n’a pas été honoré la première semaine parce que l’ARS a décidé de ne pas réquisitionner. Les réquisitions ont débuté la deuxième semaine de mobilisation, mais il y a eu des ratés avec des réquisitions le lendemain pour la veille. Ils ont eu du mal à avoir une politique claire sur les réquisitions à mettre en place. »
L'ARS répond
« L’ARS Bourgogne-Franche-Comté reste mobilisée face au mouvement de grève des gardes des pharmaciens d’officines, pour garantir le service d’urgence pharmaceutique. Le dispositif de réquisition, qui fait l’objet d’un suivi quotidien en lien avec les 8 préfectures de départements, est adapté et proportionné, pour tenir compte de la réalité des besoins et assurer un maillage suffisant du territoire. Depuis le 8 juillet dernier, sur les secteurs de garde pharmaceutique comportant un centre hospitalier avec service d’accueil des urgences et/ou une maison médicale de garde, les pharmacies sont réquisitionnées, si besoin, pour assurer la continuité pharmaceutique. Les périodes de réquisition portent sur les nuits, dimanches et jours fériés. »
Dans ce mouvement, les pharmaciens prévoient d’arrêter plusieurs autres services si leurs revendications ne sont pas entendues, malgré les conséquences directes pour le public. Les vaccinations, les tests d’angine, les remises de kits de dépistage du cancer colorectal pourraient être stoppés. À moins que d’ici là, le ministre revienne sur ses positions.