À 10 h 30 ce 19 juin, c’est un étrange ballet qui se joue à l’intérieur de la tour du 8 rue de Budapest, à Belfort. Il faut emprunter un ascenseur extérieur, suspendu dans le vide, pour atteindre le 7e étage de la tour Budapest. C’est ici que tout va commencer. À cet étage, les murs sont nus, grignotés, sciés, les fenêtres absentes, les escaliers ont disparu, les gaines techniques sont éventrées. Le béton est strié de traits rouges, les plafonds maintenus par de gros rondins de bois. Au milieu des couloirs éventrés, des tubes rouges descendent en oblique. Le bâtiment semble avoir déjà abandonné toute vie. Et pourtant, il tient encore. Par la seule force de huit vérins hydrauliques et de solides rondins de bois.
C’est là, précisément à ce niveau, que tout basculera le 2 juillet. « C’est l’étage de poussée », explique Aurélien Jeandel, chef d’agence chez Premys ; société appartenant au groupe Colas spécialisée dans la déconstruction. C’est aussi le cœur du dispositif de vérinage (voir vidéo ci-dessous), cette méthode brevetée par l’entreprise et qui va permettre l’effondrement maîtrisé de la tour.
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Une démolition comme un château de cartes
Contrairement à une démolition par explosion ou par grignotage mécanique, le vérinage s’appuie sur la gravité. Concrètement, huit vérins fragilisent la structure au 7e étage ainsi qu’au 9e étage — des points névralgiques du bâtiment, choisis précisément pour leur potentiel de rupture. Une fois la poussée enclenchée, la masse des 3 500 tonnes de béton des étages supérieurs entraînera l’effondrement de l’immeuble. « On va ouvrir les vannes », résume Aurélien Jeandel.
Pas d’explosion, ni d’implosion, donc. Une pression millimétrée qui affaiblira les appuis. En quelques minutes, les 10 500 tonnes de béton s’écrouleront, entraînant les 15 étages dans une chute en cascade. « Le bâtiment devrait s’écrouler comme un château de cartes », commente le chef d’agence. À ses pieds, les 10 500 tonnes de gravats seront ensuite triées, puis évacuées. Cette méthode est qualifiée de « démolition douce ». Elle limite les nuisances habituelles.
Avant d’en arriver là, il aura fallu près d’un an de travaux. Un désamiantage méticuleux, qui a occupé plus de six mois. Puis deux mois de curage, pour vider le bâtiment de tout ce qui n’est pas structurel. Et enfin, deux mois de préparation technique pour la démolition.
Encore deux tours à détruire
Mis en service en 1971, l’immeuble comptait 75 logements, dont 57 encore occupés avant le lancement du projet. Plus de 30 ménages étaient composés de personnes âgées de plus de 60 ans. Territoire Habitat, le bailleur, a mis un an et demi à reloger les familles. En tout, 41 d’entre elles sont restées dans le parc social de Belfort, et 12 ont quitté les quartiers prioritaires , indique Territoire Habitat. « Ces logements ne plaisaient plus, ils souffraient d’une forte vacance », constate Marie-Hélène Ivol, la présidente.
Le coût total de l’opération s’élève à 2,3 millions d’euros. Elle est financée en grande partie par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), mais aussi par la vente du terrain au Grand Belfort et par le bailleur social lui-même. Cette démolition marque le début d’un vaste programme de requalification des espaces publics dans le quartier des Résidences, à l’ouest de Belfort.
D’ici 2027, deux autres tours voisines, les 5 et 7 rue Dorey, connaîtront le même sort. Le 2 juillet, à l’aube de la démolition, 44 habitants de ces deux bâtiments seront temporairement évacués. La sécurité sera de mise : le 2 juillet, un périmètre sera mis en place dès 7 h du matin pour permettre au public d’assister à l’événement à distance. À 11 h précises, la tour du 8 rue de Budapest s’effondrera sous le regard des techniciens, des riverains curieux, et des anciens locataires peut-être. Une chute attendue, presque chorégraphiée, maîtrisée jusqu’au dernier mètre.