Du parking du Phare, il ne faut que quelques brèves minutes pour atteindre la stèle des fusillés du fort Hatry. Sur ce site de mémoire, 25 résistants ont été découverts en mars 1945, dissimulés dans une casemate, sept mois après avoir été fusillés par les Nazis (voir l’encadré plus bas). C’est ici, dans ce lieu chargé d’histoire, que le collectif des fils et filles de Résistantes et Résistants 90 a tenu sa conférence de presse, ce mercredi 18 juin.
La date n’a rien d’un hasard. Elle marque l’anniversaire de l’appel du général de Gaulle lancé depuis Londres en 1940, considéré comme l’acte fondateur de la Résistance française. Et c’est bien en opposition à une forme de révision de cette histoire que le collectif, emmené par Vincent Jeudy, fils de résistant – figure écologiste bien connue du Territoire de Belfort – entend se mobiliser.
« Résister » : c’est le mot d’ordre du groupe, rejoint notamment par Patrick Cantat, ex-Belfortain retraité aujourd’hui installé à Montbéliard, Nathalie Tardieu, professeure de mathématiques et nièce de résistante, et Philippe Gury, fils de résistant. Leur combat : contrer les discours de l’extrême droite sur l’héritage historique de la Résistance.
« C’est un appel à la lutte contre la révision de l’histoire »
Dans leur viseur, un élu en particulier : Guillaume Bigot, député du Rassemblement national dans la 2nde circonscription du Territoire de Belfort. En novembre 2024, l’élu avait écrit dans un droit de réponse à L’Est Républicain (lire ici) : « Fondé en 1972, le Front national était une coalition hétéroclite où des ex-collaborateurs côtoyaient des résistants. » Une déclaration que le collectif n’a pas digérée, c’est d’ailleurs ainsi qu’il s’est créé. « Ce que Guillaume Bigot a dit, ça nous a fait tomber de nos chaises », lâche Vincent Jeudy. « Les mensonges sont récurrents pour réhabiliter l’extrême droite, qui, rappelons-le encore, est un parti fondé par des Waffen SS. C’est triste. »
L’article du quotidien local évoquait la commémoration du 80ᵉ anniversaire de la Libération de Belfort, où Renaud Nury, sous-préfet du Territoire de Belfort, avait rappelé l’importance de préserver la mémoire pour « détruire le terreau du totalitarisme et du populisme, des extrémismes, du racisme et de l’antisémitisme ». Le journaliste relevait alors « l’ironie » de voir Guillaume Bigot applaudir, malgré son appartenance à « un parti cofondé par d’anciens SS ».
À France 3 Franche-Comté, le député RN s’était défendu (lire ici) : « Je n’ai rien à voir avec les personnes qui ont créé le Front national. Aujourd’hui, le combat du RN est un combat contre les forces qui veulent diviser le pays et qui propagent la haine de l’autre. »
Une mémoire menacée par le temps qui passe
Au-delà de la polémique, le collectif s’inquiète d’un phénomène plus large : l’oubli. « L’extrême droite essaye de se positionner en héritière de De Gaulle, et non de Pétain. Ils effacent l’histoire et le temps joue avec eux », déplore Philippe Gury.
Il pointe un déficit de transmission auprès des jeunes générations. Une professeure, membre du collectif, témoigne : « Aujourd’hui, au collège, les jeunes identifient la Seconde Guerre mondiale à quelques films. « Mais ça n’a pas existé », me disent-ils. » Elle souligne aussi que des œuvres comme Nuit et Brouillard, documentaire qui traite de la déportation et des camps d’extermination nazis de la Seconde Guerre mondiale, ne sont plus projetées en classe. « Il y a dix ans, c’était encore le cas. »
« Les jeunes ne connaissent plus Jean-Marie Le Pen, et ces phrases sur les fours crématoires par exemple. » (NDLR : Jean-Marie Le Pen avait qualifié les chambres à gaz de « point de détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale ».)
Une « bibliothèque vivante » en projet
Face à ce constat, les membres du collectif veulent agir. « Ce n’est pas un mouvement politique », précise Vincent Jeudy. Leur objectif : construire une « bibliothèque vivante et humaine », pour faire vivre la mémoire de la Résistance à travers des témoignages, des vidéos, des rencontres, en particulier avec les jeunes. « Il faut qu’on réfléchisse à la forme. Les jeunes générations ont besoin d’un maximum de témoignages de cette époque. »
Le modèle des bibliothèques humaines (voir ici) est utilisé pour donner de la visibilité et de l’humanité à des récits, sans stéréotypes et avec pour but de combattre les idées reçues.
Ici, l’idée est d’organiser des ateliers, des événements d’éducation populaire, des rencontres avec des historiennes comme Marie-Antoinette Wasselet, dans des lieux symboliques comme le Fort Hatry.
Patrick Cantat, de son côté, souhaite faire vivre ce mouvement à Montbéliard : « Je veux tisser du lien avec des fils, petits-fils, petites-filles de résistants pour le devoir de mémoire. » Pour lui, il faut faire ce travail et surtout le transmettre aux plus jeunes pour faire en sorte que « les jeunes générations soient porteuses et non spectatrices de ce qu’il se passe. »
C’est un appel du pied, par cette conférence de presse, que fait le collectif. « Il faut que d’autres fils et filles, petits-fils et petites-filles viennent vers nous pour témoigner. »
« Français, n'oubliez pas »
À leurs yeux, ce n’est pas anodin que cette mobilisation se soit tenue devant la stèle des fusillés. On y voit la croix de Lorraine, symbole de De Gaulle et de la France libre. Le slogan gravé : « Français, n’oubliez pas. » Et un mot, « patriote », qu’ils souhaitent arracher à l’extrême droite, qui l’a récupéré via des formations comme Les Patriotes, mouvement fondé en 2017 par Florian Philippot.
« L’extrême droite veut cacher le côté noir. Ils ont horreur qu’on leur rappelle d’où ils viennent. Ils sont dans une démarche de respectabilité, produisent des mensonges en trois secondes qui prennent plusieurs minutes à être détricotés », dénonce Vincent Jeudy.
« Mon père était gaulliste, cela a fait des débats animés à la maison, mais je peux vous dire que ça n’a rien à voir avec Jean-Marie Le Pen. »

Contact : resistance90@proton.me
21 mars 1945, les fusillés du fort Hatry
Quatre mois après la Libération de Belfort, le 21 mars 1945, 25 corps mutilés sont retrouvés près d’un bunker du fort Hatry. Grâce à des journaux retrouvés dans leurs poches, les enquêteurs estiment qu’ils ont été fusillés le 25 août 1944. Dix-neuf d’entre eux sont identifiés : des résistants français, pour la plupart membres des FFI, actifs dans le secteur du pays de Montbéliard. Deux d’entre eux venaient du Territoire de Belfort : Émile Euvrard et Élisée Spadone, originaires de Bavilliers. Leurs corps portaient les marques de tortures.