
Comment ce rôle de marraine du Fimu vous a-t-il été proposé ?
C’est venu très simplement. Julien Catusse, directeur du festival, m’a invitée en sachant que le Venezuela serait à l’honneur cette année. Il ne connaissait pas beaucoup d’artistes vénézuéliens et, comme il m’avait déjà programmée il y a quelque temps avec mon orchestre, il s’est naturellement tourné vers moi. Cela s’est fait très simplement.

Vous connaissiez déjà le festival ?
J’en avais entendu parler. Je n’y avais jamais joué directement, mais j’étais passée par La Poudrière il y a deux ans. J’ai d’ailleurs beaucoup tourné dans l’Est ces dernières années, avec six dates programmées.

Quel sens donnez-vous à ce marrainage ? Quelle est la touche que vous souhaitez y apporter ?
Ce qui me plaît, c’est d’être considérée comme représentante de la diaspora vénézuélienne – une diaspora faite d’héritages forts, mais un héritage qui est métissé, mélangé et modernisé. Ma proposition n’est pas de représenter un folklore figé, mais une vision personnelle de cet héritage que j’ai assimilé. J’en propose une version plus personnelle et plus originale. Et je suis très contente qu’on me laisse de la place pour faire cela. J’ai beaucoup de choses à raconter sur le Venezuela !


Le Venezuela traverse une crise majeure depuis plusieurs années…
C’est un pays qui a longtemps été mis de côté, oublié par l’opinion internationale. La crise qu’il traverse est profonde, mais elle n’a pas été jugée assez sulfureuse ou croustillante pour susciter de l’intérêt dans les médias. C’est un pays assez fou, il a été en retrait du monde pendant longtemps, parce qu’il s’auto-suffisait. Il s’y passe tellement de choses, et il y faisait tellement bon vivre, que les gens ne voyageaient pas tant que ça hors du pays.
Ces dernières années, on voit beaucoup plus de Vénézuéliens un peu partout dans le monde, parce qu’il y a eu plus de 6 ou 7 millions de personnes en exode. Et c’est intéressant de voir comment ça réagit, ce qui s’installe, ce qui ressort dans l’art. Car qui dit crise dit art, et il y a des choses assez intéressantes qui en émergent ces dernières années.

Quel est le message que vous portez sur le Venezuela au Fimu ?
Quand la crise est arrivée, elle a été tellement triste, frustrante, absurde. L’embargo américain empêchait tout produit de rentrer. Il n’y avait plus de médicaments, les gens se sont mis à mourir de maladies moyenâgeuses ou du diabète. Il y avait des coupures d’électricité assez drastiques, et je crois qu’on ne se rend pas compte de ce que cela représente une coupure d’électricité quand cela dure dix jours. Au-delà de ne pas pouvoir se faire à manger ou avoir de la lumière, c’est aussi, par exemple, des gens dans des hôpitaux qui sont en soins, qui décèdent, des bébés dans des couveuses, tout un système de circulation qui s’effondre.

C’est un joyeux bordel, et on nourrit une sensation d’inutilité qui n’est pas agréable du tout. Alors j’en parle beaucoup dans mes chansons. Je raconte cela et j’ai juste envie d’envoyer de la force et de l’amour aux gens qui sont là-bas. La musique est toujours un bon moyen de le faire, pour aider les gens à traverser des épreuves, des moments durs, difficiles.
Cette énergie est lancée par la musique, par les sons. Et le simple fait que le Fimu décide de mettre le mot « Venezuela » sur son programme va permettre que quelques personnes, au moins, se questionnent. Des gens s’intéresseront à la localisation du pays, à ce que ça raconte, à ce qui s’y passe. Cela permet de semer des graines, un intérêt potentiel qui n’aurait peut-être pas existé sans ça. Donc c’est beaucoup.

Quel est, à titre personnel, votre lien avec ce pays ?
J’ai grandi entre Paris et le Venezuela. Le Venezuela m’a énormément nourrie et marquée. Autant que la France. J’ai vraiment grandi en embrassant les deux cultures. Longtemps, j’ai eu l’impression qu’il fallait choisir entre les deux. Mais au bout de quelques années, on s’aperçoit qu’on n’a pas forcément besoin d’appartenir à un groupe. On peut créer un nouveau paysage, entre ces deux continents, un paysage qu’on s’est auto-créé en tant que personne hybride et métissée. Et c’est là que ça devient intéressant. Là, le discours devient plus ouvert et conscient, selon moi.

Et aujourd’hui, vous vivez toujours entre plusieurs pays ?
Je vis en région parisienne, mais j’ai passé beaucoup de temps au Mexique, surtout entre 2016 et 2020. Quand la crise au Venezuela s’est installée, mon frère habitait là-bas. Je suis allée le rejoindre, et c’est là que j’ai commencé à développer mon projet artistique. Le Mexique est une porte d’entrée vers l’Amérique latine, une terre où je me suis sentie très à l’aise. C’est une terre que j’ai beaucoup aimée.

Dans votre musique, comment vos différentes influences s’expriment-elles ?
La langue espagnole s’est imposée naturellement, parce qu’elle sonne. C’est ce qui m’importe en premier lieu. C’est un son qui me ressemble et qui résonne avec ce que j’ai envie de dire. Il y a beaucoup de sonorités en « O » et en « A ».
L’espagnol, en tout cas l’espagnol vénézuélien, permet aussi une expression lyrique, métaphorique, parfois absurde – quelque chose de très difficile à rendre en français. On peut faire plus de descriptions un peu abstraites : d’ambiances, de rêves, de tableaux. En français, il faudrait une description plus détaillée, plus nette, ce qui enlèverait un peu de poésie peut-être. Ou alors, il faut avoir un très haut niveau de poésie en français – et ce n’est pas encore mon cas (rires).
Cela vient se mélanger avec des références beaucoup plus européennes. Je suis très influencée par la scène britannique, des Beatles à la scène punk, en passant par Radiohead, James Blake ou Little Simz aussi.

Y a-t-il d’autres particularités, dans votre musique, héritées du Venezuela ?
Il y a des rythmes assez spécifiques. J’utilise des samples de rythmes qui viennent de la côte caraïbe, d’héritage africain. Cela s’accompagne aussi de tout un état d’esprit autour du vaudou, qui est emprunt de rituels et de magie. Cette rythmique provient de ma culture et de mon éducation. Il y a un aspect danse, connexion à la terre. Et plus je progresse, plus je me rends compte que j’ai été très influencée par la culture – mexicaine aussi – mais surtout vénézuélienne. Dans les mots, les sons… et l’accent aussi !

Revenons au Fimu ! Comment se passe votre semaine à Belfort ?
C’est ma deuxième journée ici. On travaille en collaboration avec d’autres artistes programmés, comme Dominique Hunsiker, Mariaa Siga, Mathis Hakenging ou Tosca Tvaniello, une harpiste italienne. On crée ensemble un morceau que l’on présentera dimanche. J’ai proposé The Sea, une de mes chansons, qui a bien résonné avec les autres. Tosca va en jouer l’intro à la harpe, au lieu du piano, et avec les filles, on prépare un chant à trois voix. C’est une chanson pour les femmes, mais pas que. Ce sera la première fois que nous présentons notre trio. On va tester plein de choses, sans filet. Vous allez être notre public test !
J’ai aussi des amis qui jouent, je vais aller les écouter vendredi. Ensuite, samedi, je pars à Tourcoing pour un concert avec l’orchestre, et je reviens à la dernière minute, juste avant de monter sur scène dimanche. C’est intense !


Auriez-vous un conseil pour les jeunes artistes présents au FIMU ?
Il n’y a pas qu’un seul conseil. Je pourrais leur dire qu’il faut s’accrocher et travailler. Mais le plus important, c’est de s’amuser. C’est la chose la plus importante. Sinon, on se ruine la santé, la santé mentale. L’authenticité, c’est ce qui touche le public. On peut se remettre en question, mais il ne faut pas se laisser atteindre par les jugements extérieurs. Le public sent quand c’est vrai. Et c’est ça, la force.

Et une recommandation d’artiste du Venezuela à découvrir ?
Raúl Monsalve, ce sera trop cool à voir en live. Il joue vendredi. Raúl est vraiment un ethnologue de la musique. Il est très fort et joue très bien. C’est un musicien de génie. Son groupe est super, et ils ont aussi proposé un petit twist dans la musique du Venezuela en reprenant plein de codes de la tradition, mais en en faisant quelque chose d’actuel : la tradition de demain !
La Chica, à découvrir dimanche 15h15, scène Révolution. Puis à 20h pour la création originale à l’Arsenal.
Raúl Monsalve y los forajidos sera à découvrir vendredi, à 17h30 scène Révolution puis à 20h15 scène Savoureuse.