L’école inclusive. Ces dernières années, de multiples actions ont été menées pour favoriser l’accueil d’enfants en situation de handicap en milieu ordinaire, en créant par exemple des unités spécialisées dans les écoles. On en compte plusieurs dans le Territoire de Belfort. Un objectif ambitieux, sur lequel on communique à foison, mais qui se confronte pourtant à une réalité plus nuancée, qui témoigne des moyens exsangues de l’univers médico-social. C’est ce que veut souligner un collectif de parents d’élèves, dont les enfants sont accueillis au centre ressources enfance et adolescence de Roppe (Crea), une structure de l’Adapei du Territoire de Belfort. Les enfants y sont aussi scolarisés ; la classe est assurée par des enseignants de l’Éducation nationale.
Depuis 2021, le collectif alerte la direction académique des services de l’éducation nationale (Dasen) du Territoire de Belfort, sur la baisse du nombre d’heures de scolarisation de leurs enfants, au sein de la structure. Là où, sur l’année 2017-2018, il y avait un enseignant pour 15,8 enfants, selon le collectif, il n’y aurait plus qu’un enseignant pour 27,5 élèves pour l’année 2023-2024, selon les prévisions. Tout en sachant que l’encadrement préconisé « est d’un enseignant pour 12 enfants en situation de handicap », replace Nadia Laayssel, maman de l’une des élèves accueillies au Créa.
Le collectif regrette aussi que les élèves ont vu, qui plus est, leur temps baisser massivement. De 10, à 3 heures en moyenne par semaine. « Pour la plupart, les heures ont diminué de moitié. Pour d’autres, il n’y a plus d’heures du tout », explique cette porte-parole du collectif. Selon leur estimation, cela concernerait 55 élèves. 55 élèves qui ne progressent plus, voire régressent. « On essaie tous de consacrer du temps à l’apprentissage à la maison, mais ce n’est pas pareil », commente cette maman. Qui ajoute, qu’en prime, les enseignants qui arrivent dans la structure ne sont souvent pas assez formés aux « polyhandicaps, aux handicaps intellectuels et aux troubles autistiques ». Des troubles qui s’expriment chez des jeunes âgés de 0 à 20 ans. « Nos gamins ont besoin d’une scolarisation adaptée avec des accompagnements individuels », précise-t-elle. « Aujourd’hui, ils n’ont plus les armes pour. Ils perdent les compétences acquises. »
"Déshabiller Paul pour rhabiller Jacques"
Dans cet établissement, cinq postes ont été créés depuis 2008, explique Nadine Naas, inspectrice chargée de l’adaptation scolaire et des élèves en situation de handicap, sollicitée sur ce dossier. « C’est bien plus que ce qu’on a fait dans d’autres établissements », précise-t-elle, visiblement très amère des remarques adressées par le collectif. « Ils ont voulu rattraper l’histoire et nous les avons aidés. »
Pour les parents, ces cinq postes ne suffisent pas, car sur ces postes, trois ont été externalisés. C’est-à-dire que trois professeurs accompagnent des jeunes en situation de handicap scolarisés dans des unités installées en milieu ordinaire dans les écoles Saint-Exupéry à Danjoutin, Hubert-Metzger à Belfort et au collège Châteaudun à Belfort. Le problème, c’est que là où les professeurs en interne s’occupaient d’une quinzaine de jeunes, ceux-ci, à l’extérieur, accompagnent souvent des groupes de 8, qui ont pu être scolarisés 24 heures par semaine.
Les autres élèves restés au sein de la structure de l’Adapei sont donc, selon les parents, « les oubliés de l’Éducation nationale ». Pour le collectif, il faudrait deux emplois de plus en interne pour arrêter cette politique qui consiste à « déshabiller Paul pour rhabiller Jacques ». « Une scolarisation adaptée est indispensable pour aider nos enfants à grandir, évoluer et devenir des citoyens les plus autonomes possible. L’égalité des droits et des chances pour toute personne en situation de handicap doit être respectée », avertit le collectif, qui considère être dénigré. « On a l’impression qu’il faudrait déjà qu’on soit content que nos enfants soient à l’école », se désole Nadia Laayssel.
"Angle mort"
Mariane Tanzi, directrice académique des services de l’Éducation nationale du Territoire de Belfort, explique : « J’ai reçu le collectif de parents fin juin, et je leur ai expliqué les contraintes de ma carte scolaire. » Elle fait référence aux 9 postes d’enseignants en moins cette année, causés par la perte de 1 864 élèves en 11 ans dans le département. Et des 19 postes en tout rendus depuis 2021, à cause de cette baisse démographique. Elle rappelle que malgré cela, elle a conservé un bon taux d’encadrement. « J’ai conscience des besoins, mais pour le moment, je n’ouvrirai pas de postes supplémentaires », explique-t-elle, après la phase d’ajustement qui a eu lieu le 5 septembre et qui lui permettait de revoir quelques paramètres de sa carte scolaire.
Elle expose qu’elle mettra un demi-poste à titre provisoire à la rentrée 2024, puis un autre en 2025. Cela fera un équivalent temps plein et six postes en tout. « Je ne tolérerais pas qu’on dise qu’il y a eu des oubliés de l’Éducation nationale », affirme-t-elle également. Ce à quoi Nadine Nass ajoute que le Crea de Roppe « a fait des choix sur l’utilisation des postes », qui crée aujourd’hui « cette minoration interne ». « Les externalisations se sont faites très rapidement, le délai était trop rapide », tance-t-elle.
Un discours qui étonne dans le milieu médico-social. Car les politiques publiques encouragent vivement les externalisations depuis plusieurs années. Avec l’aide des agences régionales de santé (ARS) qui aident au financement, plusieurs établissements ont pu avec les services départementaux de l’Éducation nationale, en France, privilégier les externalisations. Contactée par téléphone, Emmanuelle Coudray, directrice générale de l’Adapei du Territoire de Belfort, repose le contexte : « L’Adapei note tous les efforts qui y ont été faits pour le Créa. Il y a eu beaucoup de positif, avec des créations de postes qui ont beaucoup aidé. » Elle complète : « Nous avons construit avec l’Éducation nationale, de concert, les politiques d’externalisation qui sont des politiques publiques avant tout. Et je crois que tout le monde s’en félicite. » Malgré ces politiques, compte tenu de leur handicap, certains enfants ne peuvent pas être scolarisés en milieu ordinaire. Elle entend que les parents puissent être en colère quant au déficit de scolarisation en interne, qui a été en quelque sorte « un angle mort » de ces politiques. Sa volonté : pouvoir continuer à trouver des solutions avec les services, pour les enfants. La tension est palpable entre tous les acteurs. Une réunion doit avoir lieu le 15 septembre avec la Dasen, l’Adapei et le collectif de parents d’élèves.